Elle pourrait devenir un cas d’école juridique. L’assignation en référé expertise déposée par la métropole de Lyon à l’encontre des géants de la chimie Arkema et Daikin a été plaidée le 28 mai au tribunal judiciaire. Du côté des plaignants : la collectivité pilotée par les écologistes depuis 2020, dont dépend la régie de l’eau (devenue publique au 1er janvier 2023), et le syndicat mixte d’eau potable Rhône‐Sud. Ce trio doit gérer les conséquences de la découverte sur leur territoire d’une pollution massive aux PFAS. Ces «polluants éternels», des substances per- et polyfluoroalkylées, ne se dégradent pas dans la nature. Employés dans une multitude de produits, ils ont été retrouvés en quantités démesurées dans l’eau, les sols et l’air de la vallée de la chimie, au sud de Lyon. Du côté des mis en cause : les industriels Arkema et Daikin, qui ont utilisé durant des décennies cette famille de molécules, que le corps humain peut accumuler. Leur responsabilité exacte reste à établir dans cette contamination qui touche près de 200 000 personnes en aval du Rhône.
La constitution d’un collège d’experts indépendants
Comment, pourquoi, depuis combien de temps et dans quelle mesure l’environnement, en particulier l’eau tirée du champ captant de Chasse-Ternay, a-t-il été touché par ces rejets néfastes ? «La métropole a l’obligation de mettre en place un plan d’action pour rétablir la qualité de l’eau, cette procédure civile vise à renforcer une action au fond ultérieure pour engager les responsabilités d’éventuels pollueurs», explique Me Quentin Untermaier, qui défend la métropole de Lyon. Elle réclame la constitution d’un collège d’experts indépendants – écologues, ingénieurs chimistes, hydrogéologues et hydrauliciens. Ce recours à des spécialistes est «assez fréquemment utilisé pour des litiges de la vie quotidienne», rappelle l’avocat. Mais son originalité, ici, réside dans le fait qu’il soit plaidé par «de grandes collectivités dans une affaire de pollution hors norme».
En attendant, «dès 2024, une filtration a été engagée», indique Bruno Bernard, président Les Ecologistes de la métropole de Lyon, qui estime entre 5 et 10 millions d’euros le montant des travaux nécessaires pour abaisser la concentration en PFAS relevée dans l’ensemble de son réseau d’eau potable en dessous du seuil de référence européen et en conformité avec les exigences de l’Agence régionale de santé. A cela, s’ajoutent des coûts de fonctionnement (le remplacement des charbons actifs) évalués à 300 000 euros par an de 2024 à 2026, et à 600 000 euros par an à partir de 2026. «On a demandé à Arkema de financer les études, la réparation, on a eu un refus, déplore Bruno Bernard. Il n’est pas question que les habitants paient plus cher leur eau.»
L’enquête scientifique prendrait «plusieurs mois, voire plusieurs années»
«Est-ce que ces collectivités vont devoir traiter les PFAS pendant un an, cinq ans, un siècle ? Ce ne sont pas les mêmes conséquences. A ce jour, la réponse des industriels a été un calcul sur un coin de table avec un tableau à trois colonnes, ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu, de ce débat environnemental et de société», a tancé Me Untermaier lors de l’audience. Face à lui, les avocats d’Arkema et de Daikin ont tantôt nié, tantôt minoré le rôle de leurs clients, qui ne seraient «pas les méchants pollueurs», dixit Me Christophe Puel, pour Daikin. De concert, les industriels ont réclamé le rejet de la demande d’expertise, et à titre subsidiaire, son amplification à d’autres sources possibles d’émission de PFAS. Le délibéré a été fixé au 30 juillet. Si la justice tranche en faveur de la métropole, l’enquête scientifique prendrait «plusieurs mois, voire plusieurs années», souligne Me Untermaier, «ce serait un temps forcément long car les missions sont importantes». A la mesure des dégâts provoqués.