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Libération
Reportage

A Marseille, une mer si loin, si proche des quartiers populaires

Pour beaucoup de Marseillais, principalement issus des quartiers excentrés, l’accès à la mer reste complexe. Une frontière symbolique, que les structures sociales et les associations tentent d’atténuer.

Marseille, en août 2023. (Olivier Monge/Myop. Libération)
ParStéphanie Harounyan
correspondante à Marseille
Publié le 08/10/2025 à 11h50

Jeunesse, transports, logement, biodiversité… En 2025, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous gratuits et grand public. Objectif : trouver des solutions au plus près du quotidien des citoyens. Dernière étape de notre édition 2025 : Marseille, les 10 et 11 octobre.

L’appli de la Régie des transports marseillais n’est pas très encourageante: depuis le centre social Frais-Vallon, dans le 13e arrondissement de Marseille, il faut quarante-cinq minutes de métro (avec changement), bus et marche pour atteindre les plages du Prado. Pour celles de Corbière, à l’Estaque, plus familières aux habitants de ce quartier du nord-est marseillais, compter carrément une heure et demie. Vus de loin, les Marseillais vivent les pieds dans l’eau. Mais la ville a beau afficher 57 kilomètres de côtes, la mer reste un rêve lointain pour nombre d’habitants de ses quartiers populaires, souvent aussi les plus éloignés du littoral.

«Il y a le coût du trajet, mais aussi, pour les femmes, le temps pris sur la maison, avec toutes les tâches qui ne seront pas faites», pointe Virginie Perrin, en charge des familles au centre social. Il y a aussi, relève-t-elle, une barrière psychologique, le sentiment pour beaucoup d’habitants des quartiers populaires de ne pas être «légitimes», que le loisir en général, ce n’est pas pour eux. Pour tenter de réduire la fracture, chaque été, le centre social multiplie les possibilités, organise des sorties à prix réduit, comme cet été au Frioul ou à Porquerolles (Var).

Les navettes mises en place par la municipalité dans le cadre de l’Eté marseillais, ont aussi bien aidé, souligne l’animatrice, de quoi atténuer un peu le manque toujours important de transports en commun. La structure a permis à un groupe de femmes de participer à une régate, après plusieurs séances d’entraînement. «Je vois l’impact sur la confiance en elles, l’intérêt de sortir de leur zone de confort, assure Virginie Perrin. Accéder à ces choses que l’on regarde de loin permet une ouverture d’esprit, la rencontre avec des gens, de nouvelles opportunités.»

«Encore faut-il savoir nager»

Hind Gaigi, elle, a appris la voile à Créteil. «Parce qu’on m’a permis un jour de monter sur une planche à voile, ça a changé ma vie», raconte cette géographe aujourd’hui marseillaise, membre fondatrice de l’association Marseille vue de la mer. Créée en 2021, la structure réunit plus d’une centaine de bénévoles marins, des clubs, des particuliers et des pros, animés par «la volonté de démocratiser l’accès à la mer». «Le constat, c’est que la mer, cette rade qui entoure la ville, doit représenter 50% du territoire marseillais et que seuls 10% de la population y a accès», déplore-t-elle. Aller à la mer, c’est déjà compliqué, mais alors dessus… «Il y a des freins objectifs, observe-t-elle. Aller en mer coûte cher, et encore faut-il savoir nager… Mais aussi une barrière symbolique : si on n’est pas fils de marin ou de pêcheurs, on n’a pas hérité de cette culture maritime. Certains Marseillais n’ont jamais mis les pieds sur un bateau.»

C’est pour rendre la mer accessible que l’association embarque toute l’année ces publics éloignés dans ses actions. Lors des dernières journées du patrimoine, 130 personnes, dont une bonne partie venues du centre social Frais-Vallon, ont ainsi grimpé sur l’une des embarcations mises à disposition par les membres bénévoles, des barquettes traditionnelles aux voiliers les plus modernes. Pour aller plus loin, la structure vient de lancer son Pass’port Mer, sorte de carnet à points digital donnant accès à une série d’activités (plongée, voile, snorkeling…) à petits prix, ou gratuitement. Réservé aux centres sociaux, il devrait être étendu au grand public l’an prochain.