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Libération
Reportage

ZAD de l’autoroute A69 : «Ils ont détruit les toits des maisons pour qu’on ne s’y installe pas»

Les forces de l’ordre sont intervenues à la mi-journée ce dimanche 22 octobre pour déloger des opposants à l’autoroute Castres-Toulouse, installés dans le lieu-dit de La Crémade, où ils s’organisaient en zone à défendre. Pas la fin de la lutte, promettent les militants.
Ce dimanche 22 octobre, au lieu-dit de La Crémade dans le Tarn. (Valentine Chapuis/AFP)
par Eléonore Disdero, envoyée spéciale à Saïx
publié le 22 octobre 2023 à 14h35

«Regarde, c’est magnifique ce qu’il est en train de se passer !» Etienne Fauteux, du collectif Extinction Rebellion, a les yeux qui brillent. Devant lui, une cinquantaine de personnes s’appliquent à faire une chaîne humaine. Et rassemblent pierres, troncs d’arbres, briques… pour grossir les barricades et «sécuriser» la zone à défendre. Profitant du week-end de mobilisation contre le projet d’autoroute A69, ce ruban de goudron de 53 kilomètres qui doit voir le jour entre Toulouse et Castres, les activistes ont investi le lieu-dit de La Crémade, à Saïx (Tarn), pour en faire le QG de la lutte. Ces anciens corps de ferme, expropriés pour les travaux et situés tout près du camp de base déclaré de la mobilisation, sont devenus en quelques heures le lieu de tous les espoirs. «Si on tient la première nuit, ce sera très symbolique», racontait samedi soir Baptiste, un militant chargé de la sécurité de la ZAD.

Alors que le cortège de la manifestation battait le pavé sur la nationale 126 (10 000 participants selon les organisateurs, 2 400 selon la préfecture), que deux groupes prenaient pour cible une cimenterie et une entreprise de travaux publics sous-traitants pour l’A69, des activistes ont officiellement lancé l’occupation des corps de fermes. «Malgré les dispositifs anti-ZAD de Darmanin, nous sommes là dans la durée, prévient une militante dans un mégaphone, scellant l’installation. L’ancien propriétaire nous a dit : “Prenez-en soin”.»

«Ça ancre la lutte»

A l’entrée, un tag «Des forêts, pas des faux rêves» rappelle le cœur de la lutte. Partout sur les murs, les slogans colorés anticapitalistes, antipolice et anti-A69 ont fleuri. «C’est notre façon de respecter l’endroit», sourit Camille (1), un militant masqué sous son écharpe. «On occupe le plus de lieux possible sur le tracé de l’autoroute, au sol et dans les arbres, pour empêcher les travaux, déroule-t-il. Si on en perd un, on en reprend trois.»

«Tout le long du tracé, ils ont détruit les toits des maisons pour qu’on ne s’y installe pas, raconte encore l’activiste. C’est terrible de voir les lieux de ton enfance saccagés comme ça.» La Crémade n’y a pas échappé. Alors, pour s’approprier les lieux et symboliser l’emménagement, une charpente a été construite. Un peu plus loin, Gaëlle s’occupe d’enlever le fumier, répandu par les autorités en amont de la mobilisation, pour éviter une installation. Peine perdue, l’odeur ne dérange guère. «On pourra l’utiliser pour le jardin ou le compost», imagine déjà Gaëlle.

Si elle ne peut pas rester ce soir, vie de famille oblige, elle promet de revenir. «C’est une sacrée joie de voir des gens qui se projettent sur plusieurs semaines. Ça ancre la lutte, c’est très grisant», sourit-elle. Pour Baptiste, il s’agit maintenant de «décider ce que l’on veut faire de cet endroit stratégique». Et tout est possible. Un atelier de réparation vélo et un foyer pour les personnes sans domicile sont déjà envisagés… «Tout est à créer, on cherche encore notre identité», explique Etienne Fauteux, qui cite Notre-Dame-des-Landes en exemple.

«Les gens voient bien que nous sommes les gentils»

Les rêves ont vite cogné à la réalité, lorsque dimanche à l’aube, un hélicoptère, phares allumés, a survolé le campement, à quelques centaines de mètres de la ZAD. «Tout le monde s’est précipité pour bloquer les accès», se félicite Etienne Fauteux, encore enthousiaste. Un peu avant 13 heures ce dimanche, les gendarmes mobiles ont finalement délogé les militants de la «Crémzade», les repoussant vers les champs attenants. Bientôt, les gaz lacrymogènes pleuvent sur les militants, masque et lunettes de protection sur le nez.

Les projectiles lancés par les gendarmes déclenchent plusieurs feux, vite contenus par les manifestants, seau d’eau à la main. «No macadam», scandent-ils sous les vrombissements de trois hélicoptères. Alors que les gendarmes mobiles tentent de gagner du terrain, certains rangent leur tente en vitesse et se rapatrient sous les chapiteaux de la mobilisation, où des familles pique-niquent. D’autres militants, eux, courent vers la première ligne pour se frotter au barrage des forces de l’ordre. Thomas Brail, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres et visage de la mobilisation, passe en civière, blessé au genou et au poignet. «Merci pour tout ce que tu fais», lui lance un militant, touché à l’œil, avant de vite repartir vers les affrontements.

«Je vais être très simple, très clair, très ferme : il ne peut pas y avoir de ZAD et il n’y aura pas de ZAD sur l’A69», a déclaré, au moment même de l’intervention des forces de l’ordre, le ministre des Transports, Clément Beaune, sur le plateau de Questions politiques (émission de France Inter, France TV et le Monde). «Je ne veux pas un pays où l’on a zéro infrastructure, zéro projet et où, même avec des arguments valables, une minorité imposerait sa loi aux élus et à la majorité élue», a-t-il martelé.

«Clément Beaune, on lui demande d’ouvrir les yeux, tient à lui répondre Geoffrey, membre de La voie est libre, le collectif organisateur de la mobilisation. Les forces de l’ordre sont intervenues alors que nous étions en pleine conférence, avec des scientifiques qui nous expliquaient qu’on va droit dans le mur. Mais tout ça nous donne de la force, les gens voient bien que nous sommes les gentils. Nous, nous sommes le monde du vivant.»

(1) Le prénom a été modifié – Camille est souvent utilisé par les zadistes pour s’anonymiser.