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Libération
Témoignage

Acte II de la colère agricole : «Je ne suis pas un fana des pesticides, mais je n’ai pas d’autre solution»

Les agriculteurs en colèredossier
Alors que le mouvement des tracteurs reprend, «Libé» donne la parole aux exploitants. Aujourd’hui, Christian Bellot, producteur de cerises dans le Vaucluse, parle de l’impossible remplacement des produits chimiques interdits dans sa filière.
Christian Bellot, producteur de cerises à Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse). (Arnold Jerocki/Divergence pour Libération)
publié le 14 novembre 2024 à 11h39

Les agriculteurs sont de retour dans la rue. Un an après un mouvement historique, éleveurs, céréaliers et autres maraîchers dénoncent leurs conditions de travail. Libération publie des témoignages des premiers concernés. Ils se livrent sur leurs difficultés entre aléas climatiques, crises sanitaires, normes jugées trop lourdes et craintes sur le marché international. Aujourd’hui, la parole est à Christian Bellot, producteur de cerises dans le Vaucluse. Maire sans étiquette de Saint-Saturnin-lès-Apt, il n’est affilié à aucun syndicat.

«La situation est de plus en plus compliquée. S’il y a encore des mobilisations, je participerai. Concernant la production de cerises, on nous a interdit les insecticides, mais en l’absence de solution de remplacement, nous sommes dans l’impasse. On a des débouchés, mais on ne peut plus produire.

«Les arbres sont attaqués par une mouche qui pond ses œufs dans les fruits [Drosophila Suzukii, une espèce invasive en France depuis plus de dix ans, ndlr]. Quand un verger est atteint à hauteur de 15 %, je ne le récolte même pas, parce qu’il est impossible de trier les fruits. J’ai dû en perdre environ un tiers de mes 12 hectares, cette année. Je ne suis pas un fana des pesticides mais je n’ai pas d’autre solution. J’aimerais mieux envoyer des argiles [une solution naturelle contre les insectes], ou lâcher des bourdons, ou n’importe quoi d’autre. Mais cela ne fonctionne pas.

«Je fais de la cerise blanche, destinée aux confiseurs. On la récolte mécaniquement en secouant l’arbre, comme pour les noyers ou les amandiers. Le marché français représente sept à huit mille tonnes par an. Ce n’est pas un gros volume à côté de la cerise rouge, celle qu’on mange à table. Eux, ils ramassent leurs fruits à la main. Alors ils peuvent utiliser des filets pour protéger leurs arbres, nous non. Les filets coûtent 60 000 euros à l’hectare. Vous comprenez pourquoi la cerise française n’est pas compétitive par rapport à la cerise turque, par exemple.

«Aujourd’hui, je ne replante plus de cerisier. J’en ai même arraché certains. Un arbre vit vingt-cinq ans en moyenne, il faut régulièrement en planter pour entretenir le verger. Cela ne vaut plus le coup. Alors, je produis aussi de la lavande, du vin et des amandes. En termes de production, l’année 2024 n’a pas été si mauvaise pour nous. Mais ce sont les prix qui s’effondrent. La consommation de vin baisse et nous sommes très concurrencés à l’export. Pareil pour la lavande, de nombreuses régions se sont mises à en produire. Dans ces cas-là, on arrive à produire, mais le marché baisse. C’est l’inverse de la cerise, pour laquelle on a un débouché stable, mais on ne peut plus produire. Oh, mais je ne m’en fais pas pour moi, je suis proche de la retraite. C’est pour mon fils que je m’inquiète. Il a 24 ans, il reprend l’exploitation. Cela va être dur pour lui.»