Les agriculteurs sont de retour dans la rue. Un an après un mouvement historique, éleveurs, céréaliers et autres maraîchers dénoncent leurs conditions de travail. Libération publie des témoignages des premiers concernés. Ils se livrent sur leurs difficultés entre aléas climatiques, crises sanitaires, normes jugées trop lourdes et craintes sur le marché international. Aujourd’hui, la parole est à François Marchand, céréalier et président de l’association Bios de Meuse, affiliée à la Fédération nationale d’agriculture biologique.
«La saison a été compliquée. J’ai 63 ans, je suis installé depuis 1983 et mon fils vient de reprendre mon exploitation. J’ai vu des années humides, mais pas comme celle-là. Il n’a pas arrêté de pleuvoir pendant un an. Les fenêtres météo où on pouvait travailler étaient très courtes. Après toute l’eau tombée en hiver et au printemps, on se disait que cela s’arrêterait, mais non, cela revenait sans cesse. Le cumul est de plus d’un mètre de pluie…
«Les terres humides rendent le travail très compliqué, voire impossible. On n’a jamais pu faire des interventions dans de bonnes conditions. Les rendements sont moins bons. En blé d’hiver, nous sommes à 2 tonnes par hectare contre 3 ou 3,5 en temps normal. En maïs, nous sommes à 4 tonnes par hectare, nous aurions dû en faire au moins 2 de plus. Heureusement, nous avons pu préserver les blés de printemps, à 3,5 tonnes par hectare.
«Le problème c’est que les prix s’effondrent. Quand je me suis mis en bio, on me disait que la filière était dans une démarche d’équitabilité. Les prix de la coopérative étaient autour de 400 à 450 euros la tonne de blé. On est descendus à 300 euros la tonne. L’équitabilité, je ne la vois plus du tout. En plus, la France a repris l’importation de blés, moins chers, de l’étranger. A ces prix-là, nous ne sommes plus rentables. Economiquement, cela n’a plus de sens.
«Cette situation s’explique en partie par la baisse de la demande depuis la crise du Covid. Mais la grande distribution a aussi un rôle à jouer. Il n’y a plus aucun rayon en bio ! Vous savez, c’est tout petit le bio, si tous les Français achetaient un fromage bio par mois, il n’y aurait plus de crise…
Témoignage
«Je ne participe pas aux manifestations. J’ai toujours eu dans l’esprit qu’il faut arrêter de se plaindre et trouver des solutions. Et puis, je sais qu’il y a des problèmes dans le Sud-Ouest et dans l’élevage, mais j’ai vu des filières se plaindre alors qu’elles ne sont pas dans les mêmes difficultés. Nous subissons une mauvaise année, mais la vie ce ne sont pas que des bonnes années.
Une chose m’a choqué : c’est la négation de ce qui est en train de se passer dans l’eau. Beaucoup de rapports sortent sur la pollution de l’eau par différents produits. Qu’est-ce qu’on fait face à cela ? Je ne suis pas pour le tout bio, mais il y a un équilibre à trouver. Par contre je défends vraiment l’opposition au Mercosur. C’est comme si on demandait aux Français de rouler à 50 alors que tous les autres peuvent aller à 90 ! On ne peut pas importer des produits qui ne répondent à aucunes normes sanitaires et sociales.»