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Justice

Agriculture: les gendarmes de la cellule Demeter privés de leur pouvoir de surveillance «idéologique»

Quand l'Etat fait la guerre aux associations environnementalesdossier
La mission de prévention d’«actions de nature idéologique» menée par l’unité, créée en 2019 par la gendarmerie en association avec la FNSEA pour défendre l’agro-industrie, a été jugée illégale par le tribunal administratif de Paris.
A Besançon, en 2020, lors d'une visite des gendarmes de Demeter dans une ferme de la région. (Marc Cellier/Libération)
publié le 2 février 2022 à 10h53

Derrière la lutte contre l’«agribashing», une cellule de surveillance des militants environnementalistes. Le tribunal administratif de Paris a jugé ce mardi soir illégale la mission de prévention des «actions de nature idéologique» menée par les gendarmes de l’unité Demeter. Un revers pour le gouvernement et un «soulagement» pour les associations environnementales. Le ministère de l’Intérieur a désormais deux mois pour «faire cesser» ces actions, sous peine d’une amende de 10 000 euros par jour.

La mission de cette unité de gendarmes sera «précisée et cadrée dans un nouveau texte d’organisation interne», répondent les ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et de l’Agriculture, Julien Denormandie, dans un communiqué ce mercredi matin. Les deux ministres tiennent à «confirmer l’efficacité» de la cellule, soulignant qu’elle «a en effet permis d’obtenir de très bons résultats : les vols de véhicules dans les exploitations agricoles en 2021 ont reculé de 8 % et les dégradations de 7 %, par rapport à 2020».

«Intimidations» et «atteintes à la liberté d’expression»

Du nom de la déesse grecque des moissons, la cellule Demeter a été créée fin 2019 au sein de la gendarmerie nationale dans le cadre d’une convention avec le syndicat agricole majoritaire FNSEA et sa branche des Jeunes agriculteurs. Elle a pour objet de lutter contre les actes crapuleux ou criminels (vol de gasoil, de tracteurs, dégradations) mais aussi de prévenir «des actions de nature idéologique», allant des «simples actions symboliques de dénigrement» à «des actions dures», selon le document de présentation du ministère de l’Intérieur.

«La cellule Demeter était là pour les intimider, pour faire taire toute critique du modèle d’élevage défendu par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs.»

—  Brigitte Gothière, cofondatrice de L214

C’est notamment ce dernier aspect qui était attaqué par des associations environnementales et antispécistes Générations Futures, Pollinis et L214 : les ONG dénonçaient des «intimidations» et de «graves atteintes à la liberté d’expression». «La cellule Demeter était là pour les intimider, pour faire taire toute critique du modèle d’élevage défendu par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs», estime auprès de Libération Brigitte Gothière, cofondatrice de L214.

«Aujourd’hui, Demeter est une coquille vide : c’est exactement ce que nous demandions», a-t-elle affirmé. Même satisfaction chez Pollinis, qui voudrait toutefois aller plus loin. Pour les requérants, la convention signée en décembre 2019 est «en parfaite contradiction avec le respect de la liberté de communiquer des informations ou des idées», droit fondamental hérité de la Révolution française et sanctuarisé par le droit européen.

Cette atteinte est particulièrement grave, selon les associations, qui ont témoigné de surveillances de militants, de convocations plus nombreuses en gendarmerie et même de visites à domicile : des «tentatives d’intimidation» pour faire taire les défenseurs d’une agriculture plus respectueuse des hommes et des bêtes.

Défendue bec et ongles par la FNSEA et le ministère

Pollinis et Générations Futures avaient en outre dénoncé une «rupture d’égalité» entre les organisations agricoles, puisque la convention exclut d’autres syndicats représentatifs – comme la Coordination rurale et la Confédération paysanne, respectivement deuxième et troisième syndicats agricoles – et mis en garde contre une «délégation de pouvoirs régaliens, ici une mission de police, à des personnes privées, ici la FNSEA».

Une reconnaissance de ces arguments aurait abouti à la dissolution pure et simple de la cellule, aujourd’hui défendue bec et ongles par la FNSEA et le ministère de l’Agriculture. D’ailleurs, Brigitte Gothière relève : «L’annonce de la poursuite des activités de la cellule, recentrées sur des infractions de droit commun, pose question. Elles sont déjà dans le périmètre de la gendarmerie. Pourquoi maintenir cette cellule ?» A l’audience, le représentant du ministère de l’Intérieur avait tenté de défendre une mission visant à «connaître l’état de l’opinion», rappelant tout le mal qu’avait fait l’«agribashing» aux paysans, chez qui le «taux de suicides est le plus élevé de toutes les professions».

Une déclaration qui avait fait bondir les associations, l’avocate Corinne Lepage rappelant les «ravages des intrants chimiques» sur la santé humaine et le déclin des insectes pollinisateurs «indispensables aux cultures», des dommages subis en premier lieu par les agriculteurs.