Le regard perdu dans ses immenses pâturages aux airs de ranch américain, Valérie Nouen-Leignel paraît dépitée : «Dans mon exploitation, les jaguars se sont mis à trois pour abattre des zébus de plus de 400 kilos. Ils bouffent les joues, les mamelles, le foie et, le jour d’après, au lieu de venir se resservir sur la bête morte, ils m’en tuent une autre», tempête cette éleveuse d’une cinquantaine d’années. Lorsqu’elle s’est installée dans les années 2000 sur ce bout de piste cerné par l’Amazonie, les attaques de jaguars lui coûtaient trois à cinq veaux par an, une perte acceptable pour son immense exploitation de près de 500 hectares située à une heure de Cayenne, dans l’Ouest guyanais. Mais le recul de la forêt à la suite de projets de lotissements entre Macouria et Kourou, à une vingtaine de kilomètres de là, a provoqué selon elle une augmentation massive des attaques. «Je suis passée de 600 têtes en 2017 à 380 aujourd’hui. C’est dix années de travail qui partent en fumée. Le jaguar m’a vidée, je suis déprimée, j’arrête.»
«J’en pleurais tous les jours»
«Sur toute la région, on a eu 107 attaques de grands félins déclarées en 2022, avec un total de 442 animaux d’élevage tués», détaille Armand Ziller, l’un des membres de l’association Hisa (Human Initiative to Save Animals), qui mène chaque année des enquêtes sur les attaques de félins en Guyane. Soit le double des décès relevés pour l’année 2021. En tout, près de 60% des 176 éleveurs guyanais interrogés affirment avoir déjà connu des att