Une tolérance à géométrie variable. La préfecture du Lot-et-Garonne, lors d’une réunion avec la presse locale ce lundi 12 février, a annoncé ne pas poursuivre en justice les agriculteurs ayant occasionné des dégâts dans le département. «Les dégâts, s’il y en a, ne sont pas significatifs. Aucun agent public n’a été malmené. La ligne rouge n’a donc pas été franchie», a jugé le préfet Daniel Barnier. Lors des manifestations qui ont paralysé plusieurs routes et autoroutes du pays à la fin du mois de janvier, les agriculteurs du Lot-et-Garonne, dont beaucoup étaient affiliés à la Coordination Rurale 47 (CR47), se sont fait remarquer par leurs démonstrations de force à Agen. Lisier, feux de paille et de palette, hypermarchés et voies ferrées dégradées… Selon le maire de la ville, Jean Dionis du Séjour, la facture de nettoyage s’élève à 400 000 euros. Cette fois-ci encore, l’Etat semble complaisant envers les agriculteurs.
Concessions
Il faut croire que la Coordination Rurale 47 a impressionné la préfecture. Le 29 janvier, un convoi de tracteurs du syndicat s’était élancé d’Agen en direction de Rungis, aux portes de Paris, avec la ferme intention de bloquer le marché d’intérêt national. Face à son influence, le préfet semble désireux de rétablir un dialogue avec ces interlocuteurs, qui sont majoritaires dans le département et contrôlent la Chambre d’agriculture. Pire que de simplement effacer les dettes du syndicat, la préfecture souhaite régulariser la situation du lac de Caussade. Cette retenue agricole, pouvant stocker 920 000 m³ d’eau, a été creusée illégalement à l’hiver 2018-2019 par la Chambre d’agriculture, malgré l’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant les travaux après intervention des deux ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture.
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En 2021, la justice administrative a confirmé l’illégalité de l’ouvrage, destiné notamment à l’irrigation, sans ordonner la remise en état du site. Deux dirigeants de la Chambre d’agriculture, dont son président Serge Bousquet-Cassagne, ont même été condamnés à de la prison avec sursis en 2022. Mais ce lundi, le préfet du Lot-et-Garonne fait volte-face : «Le lac existe depuis cinq ans. Il est inscrit dans le paysage et a montré son utilité lors des périodes de sécheresse. C’est un ouvrage qui reste illégal. Mon sujet est d’aller vers une mise en conformité.» Il assure posséder «le feu vert du ministère» et un calendrier : «une mise en conformité juridique du lac pourrait être actée en 2025.»
«Démagogie totale»
Une concession toujours insuffisante pour Serge Bousquet-Cassagne, qui a répondu ne pas vouloir engager «un centime de plus» dans cet ouvrage et donner «six mois» à la préfecture pour régulariser la retenue d’eau. Ce qui a immédiatement provoqué la colère des associations environnementales. Pour Philippe Barbedienne, vice-président de la Sepanso, la régularisation annoncée du lac de Caussade relève au contraire «d’une démagogie totale». Cette fédération régionale d’associations de protection de l’environnement a attaqué l’Etat pour «faute» dans ce dossier devant le tribunal administratif de Bordeaux. Désormais, «il n’y a pas de raison que les préfets n’autorisent pas toutes les constructions illégales. C’est la preuve de la faiblesse totale de l’Etat. Ou les lois sont bien faites et il faut les faire appliquer, ou il faut changer les lois», a-t-il fait remarquer.
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Dans un récent rapport sur la gestion de la Chambre d’agriculture par la CR47, la Cour des comptes avait déploré que la réserve de Caussade «continue d’être exploitée malgré son illégalité». Serge Bousquet-Cassagne, lui, sera reçu en grande pompe ce mercredi à l’Elysée par Emmanuel Macron, en compagnie de la présidente nationale de la Coordination Rurale, Véronique Le Floch. Ce mardi, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs étaient également reçus par Gabriel Attal à Matignon pour donner des suites à la crise agricole, en amont du Salon de l’Agriculture.