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Libération
Décryptage

Colère des agriculteurs : du salaire aux taxes, les 3 pommes de discorde

Meilleure rémunération, détaxe du carburant, simplification administrative… Face aux revendications nombreuses des agriculteurs, le gouvernement promet d’agir. «Libé» fait le point sur les sujets qui fâchent.
Sur l'A64 près de Toulouse, le 23 janvier. (Matthieu Rondel/Hanslucas pour Liberation)
publié le 23 janvier 2024 à 20h11

Le gouvernement a promis d’aller vite, avec des annonces «dans la semaine». Alors que les barrages et blocages se sont multipliés dans l’Hexagone mardi 23 janvier, le but est d’éviter que la mobilisation ne «s’enlise» jusqu’au Salon de l’agriculture dans quatre semaines. Si la crise est «multifactorielle» et les revendications «protéiformes», comme l’explique le sociologue toulousain François Purseigle, Libé fait le point sur les sujets qui fâchent. En attendant les réponses «concrètes» demandées par la FNSEA qui pourraient inciter les tracteurs à regagner le chemin des cours de ferme.

A court terme, le revenu

C’est une revendication unanime qui traverse l’ensemble du monde agricole. Alors que les négociations commerciales, qui fixent les prix entre grande distribution et industriels, s’achèvent le 31 janvier, la profession rappelle qu’elle refuse d’être «une variable d’ajustement». Plusieurs fois depuis l’arrivée à l’Elysée d’Emmanuel Macron, le sujet a été mis sur la table des parlementaires. La loi Egalim, pour une meilleure rémunération des agriculteurs, votée en 2018, a été renforcée une deuxième fois en 2022 pour entériner la «non-négociabilité» de la matière première agricole, puis à nouveau en 2023 pour rééquilibrer le rapport de force et protéger les agriculteurs. Problème, le texte n’est pas respecté selon les professionnels agricoles qui déplorent que leurs produits sont payés en deçà de ce qu’ils coûtent à produire. D’un côté, les agriculteurs ainsi que les industriels ont vu leurs coûts de revient exploser depuis la crise inflationniste, notamment à cause des prix de l’énergie, de l’autre des distributeurs profitent de cette même inflation pour refuser de faire passer certaines hausses et tordre le bras de leurs interlocuteurs. Et, pour l’instant, les menaces de sanctions du gouvernement n’y changent rien. Lors des questions au gouvernement (QAG) ce mardi, Bruno Le Maire a notamment annoncé un doublement des contrôles en 2024. A l’issue de sa réunion à Matignon, le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, disait cependant attendre «des décisions fortes qui ne soient pas simplement des contrôles, mais qu’on aille beaucoup plus loin dans la vérification». De son côté, la Confédération paysanne, classée à gauche, réclame «un autre mécanisme. Au moment d’Egalim, on avait proposé l’interdiction de vente en dessous du prix de revient [qui prend en compte] nos coûts de production et une juste rémunération».

Gabriel Attal a également promis que des mesures seraient prises «à très court terme […] sur le versement des aides qui sont dues à nos agriculteurs face aux catastrophes qui sont survenues, face aux maladies», alors que les producteurs touchés par la tempête Ciarán en Bretagne cet automne, par les inondations dans le Pas-de-Calais et par les épidémies de grippe aviaire et de maladie hémorragie épizootique (MHE) bovine s’impatientent.

A court terme, la taxation du carburant

Un compromis avait pourtant été trouvé en décembre entre Bercy et la FNSEA. La taxation sur le gazole non routier (GNR), le carburant utilisé dans les tracteurs et qui bénéficie d’un allégement fiscal, fait de nouveau partie des motifs de crispation d’une partie des agriculteurs. Selon Bercy, ce dispositif de réduction fiscale du GNR agricole sur la taxe intérieure sur les produits énergétiques (TICPE) a coûté à l’Etat en 2023 près de 1,7 milliards d’euros. Pour accélérer la décarbonation du secteur, le gouvernement a annoncé en juin la disparition progressive d’ici 2030 de cette exonération fiscale. Les négociations se sont alors immédiatement lancées avec la FNSEA qui réclamait des compensations. Ce qu’ils ont fini par obtenir pour certains exploitants. Le 10 janvier, Arnaud Rousseau se félicitait encore des concertations. Faisant le parallèle avec les manifestations d’agriculteurs allemands, qui contestent également une hausse de taxe sur le GNR, le président de la FNSEA se réjouissait que «le dialogue mis en place par le gouvernement [ait] permis d’éviter ce type d’écueils». Rattrapé par sa base, il réclamait finalement lundi soir «que des remises puissent être faites dès l’achat du carburant», alors que jusqu’ici la réduction fiscale se faisait sous la forme d’un remboursement. «Il s’avère que [les compensations] ne se répartissent pas de façon homogène. On est en train de regarder comment les choses peuvent s’équilibrer», a reconnu le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau lors des QAG.

A moyen terme, simplification et contrôles

A peine nommé à Matignon, Gabriel Attal faisait de la «simplification administrative» une de ses priorités. Mardi après-midi, il promettait aux députés que, sur le sujet, son gouvernement «avancer[ait] sans tabou, sans faux-semblant». C’est d’ailleurs pour intégrer un volet sur la simplification que le projet de loi d’orientation agricole, qui devait à l’origine être présenté dès cette semaine en Conseil des ministres, a été repoussé. Le cabinet du ministère de l’Agriculture dit vouloir aussi travailler sur «les contrôles» qui s’assurent du respect des normes d’hygiène et environnementales par les agriculteurs, et cible les recours des associations écologistes contre les projets de stockage d’eau ou d’installations et d’agrandissements d’élevages qui décourageraient les agriculteurs. Egalement dans le viseur de certains manifestants, la nouvelle mouture du plan de réduction des pesticides qui devait être présentée en début d’année. Sur ces sujets, le risque est grand que des concessions se fassent au détriment de la transition écologique.

A plus long terme, le gouvernement est attendu sur certaines règles européennes, notamment l’obligation de conserver 4 % des surfaces agricoles en jachère. Au lendemain de la guerre en Ukraine, la Commission européenne avait autorisé la culture de ces terres pendant un an pour répondre à l’objectif de souveraineté alimentaire. Depuis des mois, Marc Fesneau se bat à Bruxelles pour obtenir que cette dérogation soit prolongée en 2024. Sans succès pour l’instant, ce qui cristallise la colère. Sans oublier des dossiers techniques, sur les prairies et les zones humides. Plus globalement, c’est le Pacte vert européen, accusé de menacer les rendements et donc la souveraineté alimentaire, qui alimente la contestation des syndicats agricoles productivistes. Toujours au niveau européen, un sujet fait toutefois l’unanimité contre lui : la négociation des accords de libre-échange.