C’est un pas de plus pour faciliter la réutilisation des eaux issues des stations d’épuration, une des mesures du «plan eau» annoncé par Emmanuel Macron en mars. Celles-ci, dites «non conventionnelles», vont désormais pouvoir être traitées et récupérées pour servir à l’irrigation en agriculture. Dans un arrêté publié ce jeudi au Journal officiel, le gouvernement fixe les conditions de ce virage dans lequel il voit une façon de répondre aux sécheresses qui se multiplient sous l’effet du changement climatique.
Le texte liste une série de mesures (traitement, stockage, distribution, surveillance) destinées à «garantir la protection de la santé publique, humaine et animale, et de l’environnement» pour ce nouveau type d’irrigation soumis à une autorisation administrative. Il est notamment précisé le niveau de qualité sanitaire que doivent atteindre, en fonction des cultures, ces eaux issues de stations d’épuration, aujourd’hui massivement rejetées dans le milieu naturel.
Des salades à la vigne
Le ministère de l’Agriculture donne dans un communiqué des exemples de ce que l’arrêté change par rapport à la réglementation antérieure. Ainsi, pour un producteur de salades de plein champ, «les niveaux de seuils de qualité ont été renforcés pour garantir la sécurité sanitaire». «Toutefois, est-il ajouté, une eau de qualité moindre peut désormais être utilisée si l’exploitant met en place des mesures barrières», comme un «lavage à l’eau potable de la production avant sa vente au consommateur». Un vigneron pourra aussi recourir à une eau «de qualité moindre» avec des «mesures barrières» de type «irrigation goutte à goutte, arrêt de l’irrigation avant les vendanges».
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Après la sécheresse de 2022 et son cortège de restrictions, le plan eau présenté en mars par le gouvernement français prévoyait de lever en 2023 «les freins réglementaires à la valorisation des eaux non conventionnelles». Fin août, un décret pour simplifier les procédures avait été signé, car jusqu’ici un projet pouvait mettre dix ans à se concrétiser. Restait encore à détailler les conditions d’utilisation par secteur. Un arrêté du 14 décembre a donc fixé un cadre pour l’arrosage des espaces verts. Après celui sur l’agriculture ce jeudi, un autre texte est attendu par le secteur agroalimentaire qui compte réutiliser l’eau traitée dans les stations d’épuration des usines. D’après le gouvernement, 400 projets de réutilisation des eaux usées ont été déposés depuis l’annonce du plan eau et 1 000 projets sont attendus d’ici à 2027.
Une solution loin d’être miracle
Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, «seulement 11 %» des eaux usées domestiques et industrielles sont intentionnellement réutilisées à l’échelle de la planète. Avec de grandes variations : moins de 1 % en France, d’après le Centre d’études sur l’environnement et au moins 80 % en Israël, principalement pour irriguer les cultures.
La Jordanie a été «l’un des précurseurs» en matière de réutilisation – ou «réut» – pour irriguer les cultures «dès la fin des années 1970 […], avant que d’autres pays arabes s’y mettent», soulignait un rapport interministériel publié en octobre. En France, l’un des premiers projets remonte aux années 1990, porté par des cultivateurs de maïs semence et de betteraves de la plaine de Limagne, en Auvergne. Il permet d’irriguer 750 hectares à partir des eaux usées de Clermont-Ferrand.
La «réut» est «une ressource insuffisamment exploitée, forte de développements potentiels intéressants, mais sous le poids d’importantes contraintes techniques, réglementaires et socio-économiques», relevait en 2022 un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), qui dépend du ministère de l’Agriculture. L’un des obstacles est son coût : l’eau d’irrigation issue des eaux usées traitées était alors estimée «entre 0,8 et 1 €/m3, contre 0,05 à 0,20 €/m3 pour une irrigation “classique”».
En apparence séduisante, cette technique présente un risque majeur d’assèchement des rivières. Car une bonne partie du débit des cours d’eau est alimentée par les rejets des stations d’épuration. Elle «ne génère pas une ressource nouvelle, pointait en mars Régis Taisne, chef du département cycle de l’eau de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. C’est de l’eau que l’on va utiliser d’une certaine manière plutôt qu’une autre et ça n’est pertinent que si cela ne prive pas trop le milieu aquatique.» La réutilisation des eaux usées est plus pertinente en zone littorale, où les rejets finissent directement dans la mer.
Florence Habets, directrice de recherche au CNRS, a de son côté signalé le risque «de mettre en place des technologies qui augmenteront la consommation d’eau et nous maintiendront dans l’illusion qu’on pourra continuer comme avant, sans transformation profonde de notre logiciel et de nos pratiques». La sobriété est donc la première des solutions. Le rapport de la CGAAER souligne d’ailleurs qu’il n’y a pas de «solution miracle» face à la raréfaction de la ressource en eau et qu’il importe «d’essayer de diminuer la demande en eau d’irrigation des cultures».