Ils ne savent pas où, ni quand. Mais ils en ont la certitude, le virus de la grippe aviaire va encore frapper et continuer de faire de leurs vies un cauchemar éveillé. A la veille du mois de novembre, la tension monte d’un cran chez les éleveurs de volailles de Dordogne, dans le Sud-Ouest. Un nouveau cas s’est déclaré le 20 octobre, dans le Périgord, au sein d’un élevage de 19 000 poulettes, futures pondeuses. La préfecture a fait abattre l’ensemble des animaux par précaution. Ainsi qu’un élevage voisin, situé à moins d’un kilomètre. Si pour l’instant le foyer reste un cas isolé, il n’en fallait pas moins pour raviver la psychose sur le territoire.
D’avril à juin 2022, environ un demi-million de volailles ont déjà été euthanasiées dans le département pour freiner la propagation du virus H5N1. Six mois plus tard, la plupart des éleveurs touchés par la crise ne se sont toujours pas relevés. Les dettes s’accumulent, les bâtiments restent désespérément vides et une majorité du personnel est au chômage technique. Un crève-cœur pour la filière à l’approche des fêtes de fin d’année. Les professionnels savent qu’ils ne pourront pas reprendre une activité «normale» avant 2023.
«Ça ne marche pas»
Une trentaine d’entre eux s’est déplacée cette semaine à Bordeaux pour alerter la préfecture de la région Nouvelle-Aquitaine. Ils demandent une accélération des demandes d’autorisation pour vacciner, une prise en charge des frais d’analyse ou encore un acompte du solde d’indemnisation. «On a joué le jeu. On s’est résignés à faire abattre nos bêtes en masse, à accepter les protocoles de biosécurité. On a investi des sommes folles pour protéger nos animaux dans des bâtiments fermés. Malgré tous nos efforts, ça ne marche pas», énumère Pierre Attard, éleveur à Saint-Mayme-de-Péreyrol et coprésident de l’association des producteurs de canards du Périgord. En avril, ses 9 000 canards ont été abattus, l’obligeant à stopper son activité. L’association estime qu’environ 70 % des fermes de leurs membres sont à l’arrêt en Dordogne.
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Plusieurs éleveurs dénoncent également «un retard dans le versement des aides de l’Etat» et un «manque d’informations» sur le calendrier des indemnisations. «Ma femme était en congé maternité, elle a dû reprendre le travail pour m’aider à combler les pertes. On attend toujours de savoir quand nous allons être indemnisés», déplore Pierre Attard. Contrairement à d’autres départements, de nombreux Périgourdins n’ont pas pu reprendre en raison du manque de canetons. Les cheptels de reproducteurs qui les fournissent – de Vendée pour la plupart – ont eux-mêmes été décimés après les abattages massifs de 2021. Un cycle sans fin. «Nous mettons tout en œuvre pour accélérer les procédures. Nos équipes travaillent sans relâche. Il y a eu des décisions politiques fortes. Le taux d’indemnisation s’élève à 100 %, c’est sans précédent», défend Philippe de Guénin, directeur de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt en Nouvelle-Aquitaine.
«Le virus s’installe dans notre environnement»
Pour payer leurs emprunts, plusieurs éleveurs se sont reconvertis temporairement. «J’ai eu la chance d’être épargnée car je possède très peu de canards, mais l’un de mes amis fabrique désormais des cercueils pour nourrir sa famille. On aura prévenu, il va y avoir un abandon du métier, des faillites, des suicides», confie Marie (1), une éleveuse basée près de Sarlat. «On ne devient pas éleveur pour rester dans son canapé et toucher des aides avec une ferme vide, ça rend fou. Certains sont même au RSA. C’est très dur moralement», abonde Amandine Adam, membre de l’association des producteurs.
L’inquiétude de la profession est d’autant plus forte que le risque de grippe aviaire est passé de «faible» à «modéré» en France en octobre. Avec un mois d’avance par rapport à l’an dernier. «Après cinq épisodes de grippe aviaire en sept ans, nous nous retrouvons à la veille d’une nouvelle crise. Cette épizootie [épidémie qui frappe les animaux, ndlr] a gagné des régions qui jusque-là étaient épargnées. Le virus s’installe dans notre environnement, il n’est plus seulement un visiteur occasionnel», concède Philippe de Guénin, qui rappelle qu’un vaccin est en cours d’expérimentation depuis mai dans le Gers et les Landes. Même s’il peut compliquer le commerce – certains pays interdisent formellement l’importation d’animaux vaccinés de peur qu’ils ne véhiculent le virus –, la profession y voit un «début de solution». «Les deux tiers de l’expérience semblent montrer des résultats encourageants mais les conclusions ne seront connues qu’en toute fin d’année. Si c’est positif, il faudra compter minimum six mois pour développer le vaccin. Sans compter la prise en compte, comme pour le Covid, des mutations du virus», révèle Philippe de Guénin. Une lueur d’espoir pour l’avenir. Mais qui arrive trop tard pour sauver 2022.
(1) Le prénom a été modifié