Un premier revers judiciaire, mais beaucoup de questions encore en suspens. Ce jeudi 31 juillet, le tribunal judiciaire de Vienne (Isère) a rejeté la demande de la famille Grataloup de reconnaître la responsabilité du géant de l’agrochimie Bayer-Monsanto pour les lourds problèmes médicaux dont souffre Théo, né il y a dix-huit ans avec de graves malformations de l’œsophage et du larynx. Les parents accusent le fabricant de pesticides d’être à l’origine de ces troubles congénitaux, liés selon eux à une exposition in utero de leur enfant au glyphosate. Dans leur décision que Libération a consultée, les magistrats ne disent pas que cet herbicide n’a aucun lien avec les souffrances endurées par Théo. Ils n’affirment pas le contraire non plus. Ce qu’ils écrivent, c’est qu’ils n’ont pas la «certitude requise» que Sabine Grataloup, la mère, a précisément utilisé le produit de Monsanto pendant sa grossesse.
En résumé : la décision rendue ce jeudi n’aborde pas la question du lien de causalité entre le glyphosate et le handicap de Théo Grataloup. En 2022, le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) avait reconnu «la possibilité du lien de causalité» entre les malformations du jeune homme et «l’exposition aux pesticides durant la période prénatale» (depuis, ce fonds lui verse une indemnité d’environ 1 000 euros par mois), mais jamais la justice n’avait eu l’occasion d’examiner cette question.
«C’était le point sur lequel nous attentions que les jugent se prononcent, qui aurait pu faire jurisprudence, regrette Bertrand Repolt, l’avocat de la famille, qui envisage de faire appel du jugement. Le tribunal n’a pas répondu à la question de la dangerosité du produit, estimant qu’il fallait d’abord établir avec des preuves suffisantes que Mme Grataloup avait bien épandu le désherbant de Monsanto. Mais qui, à sa place, au moment d’utiliser ce produit, aurait pensé à en garder toutes les traces pour prouver méticuleusement son usage devant la justice, dix-huit ans plus tard ?»
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Sabine Grataloup soutient avoir utilisé au mois d’août 2006 du Glyper, un générique du Roundup de Monsanto (racheté par Bayer depuis), pour désherber le centre équestre familial (le couple s’occupe d’une agence de voyages spécialisée dans les randonnées à cheval). Elle ignorait alors qu’elle était enceinte. Deux employées de cette époque ont témoigné devant la justice et affirmé l’avoir vue pulvériser la carrière. Les magistrats ne remettent pas en doute le fait que la mère de Théo se soit «servi d’un désherbant total au glyphosate» pour accomplir cette tâche, mais d’après eux, rien n’indique avec certitude que celui-ci était bien du Glyper. «Les propos relatés […] ne sont confortés par aucune facture, ou autres pièces, propres à établir l’achat d’un bidon de Glyper […] qui aurait pu être utilisé au cours de l’été 2006», écrivent-ils dans leur décision, qui reconnaît en revanche que Monsanto était bien le fournisseur de la molécule, même si le produit était commercialisé par une autre société.
Pesticide désormais interdit en usage domestique
Herbicide le plus vendu dans le monde, le glyphosate est classé depuis 2015 «cancérogène probable» par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), rattaché à l’OMS. En novembre 2023, Bruxelles avait acté le renouvellement de son autorisation sur le sol européen jusqu’à fin 2033. En France, le pesticide n’est plus épandu dans les espaces publics et également interdit pour un usage domestique, mais reste toujours utilisé en agriculture sous certaines restrictions (les doses maximales ont été réduites, et il est interdit de traiter un champ déjà labouré).
Dans un communiqué diffusé ce jeudi, Bayer dit prendre acte «d’un jugement […] qui n’a retenu aucune responsabilité à l’encontre du groupe» et souligne que la substance n’est pas «pas classée comme tératogène, c’est-à-dire susceptible de provoquer des malformations congénitales».
«Nous sommes déçus et abattus parce que nous sommes encore dans une réaction à chaud, commente de son côté Thomas Grataloup, le père de Théo, mais si on regarde le verre à moitié plein, on peut se dire que la justice n’a pas balayé notre argumentaire sur les présomptions graves, précises et concordantes entre l’usage de ce pesticide et les malformations de notre fils.»
Théo Grataloup a subi plus d’une cinquantaine d’opérations depuis sa naissance. Il dépend d’une trachéotomie pour respirer et s’exprime en voix œsophagienne car il n’a plus de cordes vocales. «On ne sait pas comment son état va évoluer, si son larynx peut dégénérer en cancer, ou s’il pourra continuer à parler à l’avenir», avait confié Thomas Grataloup juste avant l’audience du 3 avril.