Le grand débat du monde agricole aura-t-il lieu ? Sous pression des agriculteurs, encore inassouvis par les promesses et actes du gouvernement, Emmanuel Macron pensait bien faire en organisant un grand débat avec le monde agricole à l’occasion du Salon de l’Agriculture. Pour que l’évènement donne lieu à «un moment ouvert d’écoute et de débat sur l’avenir de l’agriculture française», l’Elysée a d’abord annoncé avoir invité le collectif écologiste les Soulèvements de la Terre. De quoi susciter la colère des syndicats et provoquer un gros cafouillage du côté de l’exécutif.
«L’invitation par le PR (président de la République, ndlr) au #SIA d’un groupuscule dont la dissolution a été demandée par son propre gouvernement est une provocation inacceptable pour les agriculteurs. J’avais accepté de participer à un débat. Dans ces conditions, je refuse de prendre part à ce qui ne sera qu’une mascarade», a déclaré dans un premier temps le patron du premier syndicat agricole, Arnaud Rousseau, sur X jeudi soir.
L’invitation par le PR au #SIA d’un groupuscule dont la dissolution a été demandée par son propre GVT est une provocation inacceptable pour les agriculteurs. J’avais accepté de participer à un débat. Dans ces conditions, je refuse de prendre part à ce qui ne sera qu’une…
— Arnaud Rousseau (@rousseautrocy) February 22, 2024
Il a rapidement été rejoint par les Jeunes Agriculteurs : «On dirait que le Conseil d’Etat vient finalement d’annuler la décision d’Emmanuel Macron d’inviter les Soulèvements de la terre au débat. On marche définitivement sur la tête…» a écrit le syndicat sur X en référence à l’annulation de la dissolution du mouvement écologiste prononcée le 9 novembre dernier par le Conseil d’Etat. Une heure après les réactions des syndicats, l’Elysée a enclenché un premier rétropédalage en désinvitant le collectif, qualifié un temps d’«éco-terroriste» par Gérald Darmanin, «pour garantir la sérénité débats».
Un peu plus tard ce vendredi, l’Elysée a affirmé sur X que «Les Soulèvements de la Terre n’ont été ni conviés, ni contactés. Il s’agit d’une erreur faite lors de l’entretien avec la presse en amont de l’événement». Mais le mal a été fait et l’opposition a vertement critiqué l’exécutif. «Décidément, Macron n’incarne rien d’autre que la confusion, le mépris et le désordre», a réagi la cheffe de file de l’extrême droite Marine Le Pen. Le président des Républicains Éric Ciotti a lui dénoncé un «en même temps macroniste […] insupportable».
Arnaud Rousseau a fait pression pour ne pas se retrouver face à nous et Macron s'est couché.
— Les Soulèvements de la terre (@lessoulevements) February 23, 2024
Qu'il soit rassuré : nous n'aurions pas participé à cette supercherie, mais merci pour le spectacle !
Notre communiqué du 30/01 sur le mouvement agricole : https://t.co/EKUrEs3i1X
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Quant aux premiers intéressés, les Soulèvements de la Terre, ils n’ont pas manqué de tacler le gouvernement dans un message posté sur X. «Arnaud Rousseau a fait pression pour ne pas se retrouver face à nous et Macron s’est couché. Qu’il soit rassuré : nous n’aurions pas participé à cette supercherie, mais merci pour le spectacle !». Avant d’ajouter : «Compte tenu l’enfumage du Grand Débat post GJ et de la Convention Citoyenne pour le Climat, nous n’aurions pas pris part à cette opération de communication.»
Une «opération de communication» tancée également par la FNSEA. Vendredi matin, au micro de RMC, le patron de la FNSEA s’est payé le grand débat et le gouvernement. «Je n’irais pas à ce grand débat. Je l’ai indiqué hier soir. Je trouve que ce qui se passe est incompréhensible et le cynisme qui prévaut à tout ce que j’observe est intolérable pour les gens que je représente […]» a martelé Arnaud Rousseau. Invité de TF1 ce vendredi matin, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau s’est désolidarisé de l’initiative prise par l’Elysée, qualifiant d’«inopportune» l’invitation faite aux Soulèvements de la Terre : «Je comprends parfaitement l’incompréhension, pour ne pas dire la colère qui s’est exprimée […] Leur mode d’expression, c’est le casque, c’est le masque et c’est le cocktail Molotov».
«Ring»
Jeudi en fin d’après-midi, l’Elysée avait fait part de son intention d’organiser ce grand débat, format inédit pour la visite d’un chef de l’Etat au Salon de l’agriculture, entre Emmanuel Macron et «l’ensemble des acteurs du monde agricole». Quelques centaines de personnes, responsables syndicaux, industriels et dirigeants d’associations environnementales ou de la grande distribution sont attendues selon l’Elysée en précisant qu’Emmanuel Macron souhaitait un échange «le plus riche possible, à bâtons rompus, dans un état d’esprit républicain mais sans filtre». Il «aura l’occasion de refixer un cap pour l’agriculture française à horizon 2030 en conclusion de ce débat», qui devrait durer au moins deux heures et se tenir dans un «ring», traditionnel lieu de présentation des animaux, n’a pas manqué de préciser un conseiller présidentiel.
Les diverses annonces du gouvernement et de l’Union européenne depuis le début du mouvement de fronde des agriculteurs semblent pourtant les laisser sur leur faim. Blocages de routes et contrôles dans les supermarchés, les actions coup de poing ont repris de plus belle depuis mercredi après une intervention du Premier ministre Gabriel Attal récapitulant les chantiers engagés ces dernières semaines pour améliorer et simplifier la vie des agriculteurs, sur les pesticides, les saisonniers ou la rémunération.
Deux défilés de tracteurs sont prévus ce vendredi à Paris. Le premier, organisé par la Coordination rurale, débouchera vers midi près des Invalides. Le second, emmené par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, se terminera devant le Salon de l’agriculture en début de soirée.
Mise à jour à 11 h 30 avec les déclarations de Marc Fesneau ; puis à 13 h 38 avec «l’erreur» de l’Elysée.