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Décryptage

Kakis, oranges, mandarines… Cultures du sud de l’Espagne ravagées par les inondations : quelles conséquences pour les étals français ?

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Très dépendante de son voisin pour ses importations de fruits et légumes, la France est épargnée, pour l’heure, par les pénuries, notamment d’agrumes. Certains professionnels remarquent tout de même des difficultés d’approvisionnement, présageant des hausses de prix.
Après les inondations monstres qui ont ravagé le sud de l'Espagne, le 1er novembre 2024 à Paiporta, près de Valence. (Nacho Doce/REUTERS)
publié le 7 novembre 2024 à 7h00

Une semaine après les inondations dantesques qui ont ravagé le sud-est de l’Espagne, le pays compte encore ses morts : au moins 219 personnes ont été tuées par les torrents d’eau boueuse qui ont déferlé dans les régions de Valence, d’Andalousie et de Castille-La Manche, tandis que 93 autres sont encore portées disparues. Sur le terrain, près de 15 000 soldats et policiers sont déployés pour aider la population à se relever de ce drame.

Le gouvernement a dévoilé ce mardi 6 novembre un plan d’aide de 10,6 milliards d’euros pour les dizaines de milliers d’habitants et entreprises sinistrés. Comme en agriculture, un secteur où les dégâts sont impressionnants, notamment dans les champs d’agrumes, dont la région de Valence est une importante exportatrice. Au total, 50 000 hectares de cultures pourraient être concernés, notamment celles de kakis, d’oranges et de mandarines, ainsi que des vignobles et des fermes maraîchères.

Quelles sont les pertes ?

S’il est trop tôt pour connaître le montant exact des dommages, les pertes agricoles sont «catastrophiques» et ses conséquences «incalculables», assure le syndicat espagnol d’agriculture Asaja. «Nous sommes face à une catastrophe… Les pertes vont se chiffrer en millions [d’euros]», abonde Ricardo Bayo, secrétaire de l’Union des petits producteurs de Valence. Les agriculteurs feront le bilan à mesure que les routes rouvrent et qu’ils pourront accéder à leurs champs, pour l’heure impraticables.

De son côté, l’Association des agriculteurs de Valence a déclaré que les récoltes d’oranges, de kakis et de mandarines seraient perdues. «Maintenant, les fruits vont pourrir. Même les arbres peuvent mourir parce qu’ils sont restés trente-six heures sous l’eau… Avec la chaleur, l’humidité… Le champignon va les attaquer aussi», a expliqué à Reuters un producteur espagnol de fruits depuis sa ferme de la Communauté de Valence.

Dans la région rizicole d’Albufera – l’Espagne est le deuxième producteur de riz en Europe –, les champs ont là aussi été totalement submergés par les eaux, laissant seulement quelques bâtiments agricoles et des arbres visibles au-dessus des flots.

Pourquoi la France est-elle concernée ?

L’Espagne, connue pour être le «verger de l’Europe», est le premier producteur et exportateur de fruits et légumes de l’Union européenne. La France, très dépendante de son voisin du Sud pour ses approvisionnements, a par exemple importé 9,1 milliards d’euros de produits agricoles et agroalimentaires espagnols en 2021, selon les chiffres du ministère de l’Economie. L’Espagne fournit ainsi à l’Hexagone des courgettes, des concombres, des artichauts, des salades, mais aussi des agrumes, dont la saison commence à peine. La région de Valence est d’ailleurs parmi les premiers exportateurs mondiaux d’oranges.

Conséquence directe de cette catastrophe climatique, l’approvisionnement est plus long sur les étals français. Comme au marché Saint-Charles de Perpignan, une des portes d’entrée pour les fruits et légumes, revendus ensuite à travers toute l’Europe, explique France Bleu Roussillon. «Les transporteurs espagnols ne peuvent pas prendre l’autoroute directe pour remonter vers Barcelone et livrer en France», selon l’exploitant d’une société de transports interrogé par la radio locale. En effet, les pluies diluviennes ont causé un glissement de terrain sur l’A27, entre Barcelone et Tarragone, dans le nord-est de l’Espagne, dont une partie a été complètement ensevelie.

Y a-t-il des risques de pénuries ?

Au marché d’intérêt national de Rungis, qui alimente les professionnels de toute la région Ile-de-France, on assure qu’il n’y a «pas de pénuries actuellement constatées» sur les agrumes car la majorité viennent de Corse, de Nice ou de Menton. Toutefois, «quelques grossistes spécialisés en agrumes qui s’approvisionnent en Espagne rencontrent des difficultés», notamment avec les kakis, les oranges et les clémentines. «L’impact est limité et les voies d’approvisionnement rouvrent progressivement», assure néanmoins le marché.

Les distributeurs, eux, se sont d’abord inquiétés d’éventuelles pénuries, comme Carrefour qui a prévenu ses clients qu’«en raison des intempéries en Espagne, certains fruits et légumes [pouvaient] momentanément manquer en rayon». Une crainte vite balayée : «Nous avons eu très peu d’impacts, nous avons fait ce message de manière préventive car certains camions transitent par l’Espagne», explique le géant de la grande distribution à Libération, et assure que «tout est revenu à la normale». Du côté de la Coopérative U (Super U, Hyper U, Utile), on ne souhaite pas commenter «l’absence [ponctuelle] de quelques références dans les rayons», «anecdotique» face aux conséquences dramatiques des inondations. Les magasins précisent tout de même qu’il y a bien «actuellement des ruptures d’approvisionnement sur certains agrumes (clémentines, citrons…)».

Quid des restaurants ?

Selon le Groupement national des indépendants hôtellerie & restauration (GNI), les grossistes qui fournissent les restaurants s’attendent à 30 % de baisse des importations de fruits et légumes dans les deux semaines à venir, là encore sur les kakis et les agrumes, mais aussi les salades. «On y verra plus clair fin novembre, à la fois sur la hausse des prix – car il y en aura une – et sur la durée de cette inflation, qu’on estime être relativement courte», précise Laurent Fréchet, président de la branche restauration du GNI.

Car tout dépend des dégâts constatés dans les exploitations agricoles. «Si ce sont les outils de production qui sont détruits, cela peut être relativement rapide de les remplacer. En revanche, si ce sont les arbres fruitiers qui sont touchés, cela prendra des années», détaille Laurent Fréchet. Si les manques venaient à perdurer, le professionnel table sur une réorganisation de la filière avec de nouveaux fournisseurs, ailleurs en Espagne ou au Maghreb.