Les troupes de la Coordination rurale (CR) bloqueront-elles Paris ce week-end ? La menace agitée depuis plusieurs jours par le deuxième syndicat agricole est toujours d’actualité, bien qu’atténuée : Véronique Le Floc’h, la présidente de la CR, a évoqué ce vendredi 3 janvier sur l’antenne de RTL des «blocages ponctuels» pour la journée de ce dimanche 5 janvier, sans toutefois en préciser les lieux. L’organisation habituée des actions coups de poing demande un rendez-vous au Premier ministre, François Bayrou, qui n’a visiblement pas donné suite. Interrogée à ce sujet à la sortie du premier conseil des ministres du nouveau gouvernement, la porte-parole Sophie Primas a affirmé ne «pas avoir connaissance» de cette possible entrevue.
Sur RTL, Véronique Le Floc’h a détaillé les revendications de son syndicat, notamment «des mesures qui vont nous permettre de continuer à travailler sans que ça nous coûte plus cher», un «bouclier énergétique» et la révision du calcul des cotisations sociales des agriculteurs. Plus tôt dans la semaine, Patrick Legras, le porte-parole de l’organisation, avait lui milité auprès de l’AFP pour un «contrôle» des «importations» : «Aujourd’hui on laisse entrer des produits de m… dans notre pays. Et puis on ne veut plus de surtranspositions de règles européennes […] : on doit avoir les mêmes règles pour éviter la concurrence déloyale.»
«Nous sommes en train de caler les dates»
Cet ultimatum intervient dans un contexte brûlant. Un an après la dernière flambée de la crise agricole, l’automne a été marqué par de nouvelles mobilisations des agriculteurs, encore plus remontés depuis la fin des négociations sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, enterinée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, premières organisations syndicales agricoles, fait notamment pression pour que les promesses de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, réitérées par Michel Barnier (baisse d’impôts, aides à la trésorerie, mesures de simplification administrative) soient suivies d’effets.
Concrètement, plusieurs textes sont en attente au Parlement, que la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard (LR), devra pousser ou enterrer. La loi d’orientation agricole doit, depuis le printemps, être examinée au Sénat. A la Chambre haute toujours, des sénateurs de droite et du centre ont déposé une proposition de loi «visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur». Elle vise, entre autres, à faciliter l’installation de bassines de retenue d’eau, à réautoriser les pesticides à base de néonicotinoïdes ou encore à autoriser la pulvérisation par drone. Mais le blocage politique depuis de longs mois retarde ce calendrier législatif. «Nous sommes en train de caler les dates pour examiner les textes», a tenté de rassurer Sophie Primas ce vendredi, en reconnaissant, tout en euphémisation, que «quelques petites échéances budgétaires» devraient être d’abord franchies.
Nouveaux rapports de force
Cette rentrée s’effectue également dans un contexte de concurrence syndicale, à quelques jours du lancement officiel de la campagne pour les élections aux chambres d’agriculture. Le vote, en ligne ou par correspondance du 15 au 31 janvier, déterminera les nouveaux rapports de force entre les syndicats agricoles. Un des enjeux de ce scrutin sera de voir jusqu’à quel point la CR, dont les bonnets jaunes ont gagné en visibilité depuis la crise de l’hiver dernier, peut bousculer l’hégémonie de l’alliance majoritaire FNSEA-Jeunes Agriculteurs.
La CR, qui préside trois chambres, estime pouvoir en ravir une quinzaine à la FNSEA, laquelle en détient 97. Le troisième syndicat représentatif, la Confédération paysanne, préside une seule chambre, celle de Mayotte – et la gardera pour le moment, le scrutin étant reporté dans l’île dévastée par le cyclone Chido. Toutefois, dans une interview à Libération, Yannick Sencébé, sociologue à AgroSup Dijon, mettait en garde contre l’idée d’une surenchère entre syndicats qui noirciraient à dessein le tableau du mal-être agricole pour rafler les suffrages. «L’année 2024 a commencé par une crise et se termine avec la même crise. Il ne s’agit donc pas d’une grogne, d’une colère ou d’un mouvement passager. C’est une crise structurelle», jugeait-il. Pour lui, «les agriculteurs en colère rencontrent de réelles difficultés» et «s’épuisent». Un mouvement profond, auquel les responsables politiques n’ont pas encore su répondre.