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Agriculture

La guerre en Ukraine remet la souveraineté alimentaire de l’Europe au cœur des débats

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Le conflit risque de remettre en cause les objectifs verts de l’agriculture européenne. Lors d’une réunion informelle avec le commissaire à l’Agriculture, les ministres de l’UE ont demandé une évaluation de certaines stratégies, dont celle dite «De la ferme à la fourchette», au nom de la souveraineté alimentaire.
Un champ de blé dans l'oblast de Tchernihiv, au nord de Kiev, en 2019. (Anatolii Stepanov/AFP)
publié le 3 mars 2022 à 9h37

Alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’est invitée jusqu’au Salon de l’agriculture, les ministres européens de l’agriculture et le commissaire Janusz Wojciechowski se sont réunis mercredi soir pour discuter des répercussions du conflit sur l’agriculture de l’UE, et surtout sur la souveraineté alimentaire. En effet, comme le rappelait le chercheur Sébastien Abis dans une interview à Libération, vendredi, l’explosion des cours mondiaux des céréales et du gaz risque d’avoir des conséquences sur la sécurité alimentaire de certains pays et sur les éleveurs européens, en raison de leurs dépendances aux importations d’engrais et d’alimentation animale.

Après avoir évoqué une volonté de «pouvoir assurer la sécurité alimentaire de nos partenaires ukrainiens», Julien Denormandie (Agriculture), qui a présidé ce Conseil des ministres en raison de la présidence française de l’UE, a insisté sur les «impacts de cette guerre sur les marchés agricoles et sur l’alimentation en Europe et dans les autres parties du globe» au vu des conséquences déjà à l’œuvre sur les céréales, les protéines végétales qui servent à l’alimentation animale (l’Ukraine est un grand producteur de colza et de tournesol) et les engrais (30 % des importations européennes d’engrais sont d’origine russe).

«Mission nourricière de l’Europe»

Parmi les mesures étudiées, qui devront être discutées lors d’un comité spécial de l’agriculture lundi et d’un conseil européen de l’agriculture le 21 mars, le «mécanisme européen permanent de préparation et de réaction aux crises de sécurité alimentaire», créé après la crise du Covid, va être mis en place. Des réunions de groupes d’experts de haut niveau vont également être organisées, notamment sur l’élevage, et en particulier celui des porcs et volailles qui sont les filières les plus fragiles face à l’augmentation des matières premières. «La mise en place de mesures exceptionnelles de marché» est aussi envisagée, a indiqué Julien Denormandie. A ce sujet, le commissaire polonais a précisé que des mesures devraient notamment être prises «pour soutenir le secteur de la viande porcine».

Julien Denormandie a surtout pointé «la mission nourricière de l’Europe», répondant ainsi aux demandes répétées des acteurs du monde agricole. Dans leur viseur, le Pacte vert européen et la stratégie «De la ferme à la fourchette» («Farm to Fork») qui prévoit notamment de réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2030 et de tripler les surfaces en bio pour passer à 25 % à la même échéance. Hostile depuis le départ à cette stratégie, le monde agricole s’appuie depuis des mois sur plusieurs études, et notamment un rapport du service scientifique de la Commission, pour affirmer qu’une telle feuille de route diminuerait les rendements européens. Auprès de l’AFP, mercredi, l’interprofession des céréales s’est de nouveau attaquée à cette stratégie. Dans un communiqué envoyé dans la soirée, pendant le point presse de Julien Denormandie et Janusz Wojciechowski, la FNSEA a ainsi réaffirmé que «l‘Union européenne doit remettre la souveraineté alimentaire en priorité absolue», et surtout déclaré : «En premier lieu, la logique de décroissance souhaitée par la stratégie européenne “Farm to Fork” doit être profondément remise en question. Il faut au contraire produire plus sur notre territoire, produire durablement mais produire.»

«Evaluation» des stratégies environnementales européennes

Si le commissaire européen à l’Agriculture a insisté pour dire qu’«on ne remet pas en cause les objectifs [de la stratégie De la ferme à la fourchette et du Pacte vert]», il n’a toutefois pas exclu de revoir les objectifs fixés et leur impact pour les adapter à l’exigence de souveraineté alimentaire. «Il faut qu’on puisse garantir la production de denrées alimentaires, la sécurité alimentaire, et libérer le potentiel de production de l’UE. […] Nous allons revoir nos objectifs à l’aune de la sécurité alimentaire pour l’Europe», a-t-il déclaré.

Pour Julien Denormandie, il faut «tout faire pour libérer le potentiel de production agricole». Ainsi, «plusieurs Etats membres ont proposé d’utiliser des jachères pour pouvoir faire des productions de protéines». Si la Commission doit encore valider cette mesure, cela signifierait que pour la saison 2022, les agriculteurs auraient le droit de planter des protéines végétales qui servent à l’alimentation du bétail (comme le colza, la luzerne ou le tournesol) sur des surfaces qui auraient dû être en jachère.

Quant à la question du prix des engrais, qui dépendent de ceux de l’énergie et du gaz en premier lieu, le ministre de l’Agriculture a rappelé qu’elle était liée aux ministres de l’Energie, qui se sont réunis lundi soir.