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Le sucrier Tereos annonce fermer deux usines en France

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Le groupe propriétaire de la marque Béghin-Say va fermer une sucrerie dans le Nord et une distillerie dans la Marne, mettant en danger 149 postes Arguant des difficultés liées à l’interdiction des néonicotinoïdes, la société a vu une augmentation de sa dette nette.
Le groupe Tereos justifie ses fermetures par les difficultés de la filière betteravière. (Andbz/ABACA)
publié le 8 mars 2023 à 19h44

Le géant Tereos, propriétaire de la marque Béghin-Say, annonce ce mercredi la fermeture d’une sucrerie et d’une distillerie, dans le cadre d’un projet de «réorganisation de son activité industrielle en France». 149 postes pourraient être supprimés. Malgré une forte hausse du prix du sucre, de l’alcool et de l’éthanol qui a fait bondir ses ventes au dernier trimestre 2022 (+34 %), Tereos, deuxième producteur mondial de sucre à base de betterave, justifie sa décision de fermer ces deux sites par «une réduction durable» de la production de ces racines en 2023-2024, et met en accusation l’interdiction des néonicotinoïdes.

Dans le détail, la sucrerie d’Escaudoeuvres, dans le Nord (123 postes) va fermer ses portes à cause d’une «baisse de volumes de betteraves engagés, qui s’explique majoritairement par des raisons agronomiques (rotation culturale, sécheresse, jaunisse)». Trente postes seront maintenus au centre logistique, qui compte notamment des silos de stockage. Face à ces difficultés et «aux enjeux de décarbonation et de modernisation de ses infrastructures», le groupe décide d’arrêter également l’activité de sa distillerie de Morains dans la Marne (26 postes).

Crise de gouvernance et dettes

Peut être dubitatifs face à ces justifications, le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand (LR), et des élus locaux ont immédiatement réclamé l’organisation d’une réunion sous l’autorité du préfet, «afin d’évoquer les vraies motivations de la fermeture de ce site». Car Tereos a traversé une grave crise de gouvernance ces dernières années. Le groupe avait prévenu fin février qu’il s’attendait à une augmentation de sa dette nette, du fait de la hausse des prix des matières premières et de l’énergie. La direction de Tereos France dit vouloir privilégier un reclassement des salariés en proposant «différents postes au sein des autres sites» du groupe dans la région.

Le gouvernement aussi, émet des réserves sur les justifications avancées. Il critique le choix de fermer cette usine, inaugurée il y a près de 150 ans, dans «une zone de production de betteraves moins touchée que beaucoup d’autres par la jaunisse en 2020». «Les motivations économiques de cette décision doivent être éclaircies par Tereos, qui doit l’endosser sans tenter d’en faire porter la responsabilité à l’Etat», a souligné le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Marc Fesneau sur Twitter. Le ministère de l’Agriculture indique aussi «que personne n’était au courant» de cette fermeture et a regretté une «décision unilatérale», prise «bien avant la décision de la Cour de justice de l’Union européenne» sur les néonicotinoïdes.

La baisse des surfaces emblavées est supérieure à 10 % dans le secteur d’Escaudoeuvres, selon Tereos. Les betteraves récoltées près de cette usine seront désormais transformées «sur les sites voisins». La distillerie de Morains est la seule - sur les six de Tereos - qui n’est pas intégrée à un site industriel. Sa fermeture est liée à une diminution des volumes traités et à sa «sous-utilisation» depuis plusieurs années.

Le site d’Escaudoeuvres s’est retrouvé récemment dans l’actualité. Le 12 janvier dernier, Tereos a été condamné à Lille (Nord) à 500 000 euros d’amende et à plus de 9 millions de dommages et intérêts pour avoir pollué l’Escaut il y a deux ans. Dans la nuit du 9 au 10 avril 2020, la digue de terre d’un bassin de décantation, qui retenait 100 000 mètres cubes d’eaux de lavage des betteraves sucrières, s’est rompue sur le site d’Escaudoeuvres. Quelque 70 tonnes de poissons avaient péri. Le groupe Tereos a fait appel de cette décision de justice.

Fin des quotas sucriers

Le 8 février dernier, les betteraviers défilaient avec 500 tracteurs à Paris pour protester contre l’interdiction totale des néonicotinoïdes, ces insecticides tueurs d’abeilles, utilisés par dérogation en France pour protéger les semences de betteraves contre le virus de la jaunisse. Les professionnels s’inquiétaient des répercussions de cette décision «dans toute la filière».

«Il se produit exactement ce que l’on craignait : les surfaces (de culture de la betterave) ont diminué d’environ 7 % en France et c’est maintenant toute la filière qui est en danger, des producteurs jusqu’aux sucreries», a réagi Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). Après leur mobilisation dans la rue et pour les inciter à planter, le gouvernement leur avait promis une indemnisation totale de leurs pertes en cas d’épisode de jaunisse en 2023.

«Le prix de la betterave n’a jamais été aussi élevé. C’était l’année ou jamais pour planter. Le principal facteur expliquant la baisse des surfaces est l’interdiction des néonicotinoïdes, parce qu’on n’a toujours pas de solution alternative pour protéger nos cultures», affirme mordicus Franck Sander. Reste que pour Jacques Caplat, de l’ONG Agir pour l’environnement, l’interdiction des néonicotinoïdes a bon dos et sert surtout à masquer la vraie raison des difficultés de la filière betteravière : la fin des quotas sucriers par l’UE, survenue en 2017, et donc la suppression d’un prix minimum garanti aux agriculteurs.

Par ailleurs, Tereos cherche également un acquéreur pour son amidonnerie de pommes de terre sur son site de Haussimont (Marne), qui emploie 65 personnes. La production de pommes de terre féculières, dont l’amidon est utilisé dans l’industrie, la chimie ou la pharmacie, a chuté de 28 % en 2022 du fait de la sécheresse. Les surfaces en 2023 sont en recul de 12 % sur un an, selon l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT). «Cela menace directement les dernières usines de transformation présentes sur notre territoire», celle de Tereos à Haussimont et celle du groupe Roquette à Vecquemont (Somme), avait alerté l’UNPT en janvier.

Mis à jour : jeudi à 21 heures avec la réaction du ministre de l’Agriculture.