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Débats

Les députés font de l’agriculture un «intérêt général majeur»

Les agriculteurs en colèredossier
Après un jour et demi de débats, l’Assemblée nationale a adopté l’article 1 remanié du projet de loi agricole, qui définit la souveraineté alimentaire et inscrit l’agriculture comme un «intérêt général majeur». Une mesure controversée.
Pour la majorité présidentielle, la souveraineté alimentaire garantit la capacité de la France à «maintenir et développer ses capacités à produire, à transformer et à distribuer les produits agricoles et alimentaires nécessaires» pour fournir une «alimentation saine, sûre, diversifiée». (Sébastien Pons/Hans Lucas pour Libération)
publié le 17 mai 2024 à 15h28

La souveraineté alimentaire de la France a désormais une définition. Dans un hémicycle clairsemé, les députés ont débattu ces mercredi et jeudi 16 mai du premier chapitre de la loi d’orientation agricole et de la réécriture de son article unique. Censé répondre aux revendications des syndicats productivistes à l’issue de la crise hivernale, il inscrit l’agriculture comme «intérêt général majeur». Ainsi, pour la majorité présidentielle, la souveraineté alimentaire garantit la capacité de la France à «maintenir et développer ses capacités à produire, à transformer et à distribuer les produits agricoles et alimentaires nécessaires» pour fournir une «alimentation saine, sûre, diversifiée».

Mais porte également une dimension exportatrice et internationale, puisqu’il est précisé que l’approvisionnement national doit se faire «dans le respect des règles du marché intérieur de l’Union européenne et de ses engagements internationaux». Une vision qualifiée de «malhonnête» par les Ecologistes et LFI, et à rebours de la définition originelle portée par des mouvements altermondialistes, qui donnait la priorité à la production locale pour nourrir la population française.

«Ce n’est pas une loi vide, c’est une vraie loi d’orientation […], celle de l’agrobusiness», a entamé Aurélie Trouvé (LFI). Sans surprise, les débats ont été longs sur ce premier article et ont opposé «deux visions de l’agriculture», comme l’a décrit le LR Julien Dive. L’élu s’est attaqué à «ceux qui prônent la décroissance» et qui défendraient des agriculteurs en mode «Martine à la ferme», alors que lui les voit comme des «chefs d’entreprise». Un débat «caricatural», pour le député PS Dominique Potier.

«Objet juridique non identifié»

La notion d’«intérêt général majeur», aux contours juridiques flous, a été très contestée. «En quoi qualifier l’agriculture d’intérêt général majeur aidera les agriculteurs à lutter contre les aléas climatiques, à obtenir un revenu digne, à entamer la bifurcation écologique ? Le seul effet potentiel à craindre c’est [que cela] justifie des projets de l’agrobusiness néfastes pour l’environnement», a dénoncé la députée LFI Mathilde Hignet. Pour le gouvernement, l’objectif est en effet de favoriser l’agriculture dans les politiques publiques. «Il n’y a pas de remise en cause du principe constitutionnel de la protection de l’environnement», mais «lorsque plusieurs dispositions législatives seront en présence, voire seront contradictoires, l’agriculture fera désormais l’objet d’une attention spécifique», a défendu la rapporteure Renaissance Nicole Le Peih. Les rapporteurs du texte avaient d’ailleurs souligné dans leur rapport sur le projet de loi que «cette disposition est à la fois d’une grande importance symbolique et d’un intérêt juridique relatif». Dominique Potier a ainsi fustigé un «objet juridique non identifié» qui «donne l’illusion au monde paysan qu’on a répondu de façon démagogique à toutes ses attentes d’être au-dessus des normes du droit».

«Intention politique très claire»

Alors que le principal effet de cette mesure risque de favoriser des projets agricoles contestés devant la justice, définir l’agriculture comme «intérêt fondamental de la nation» dans le code pénal a également suscité une forte opposition de la gauche. Le député écologiste Jean-Claude Raux s’est interrogé sur «l’arrière-pensée de criminaliser des militants» qui se battraient contre des projets d’agro-industrie. «Les débats ont démontré qu’il y a un flou juridique autour de cette problématique, mais une intention politique très claire derrière», analyse Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture pour Greenpeace et référente sur ce point pour le collectif Nourrir. «Cela s’inscrit dans la tendance générale du texte qui veut industrialiser l’agriculture et détricoter les normes environnementales», juge l’ONG.

Le principe de «fixer une programmation pluriannuelle de l’agriculture» d’ici à 2025 puis tous les dix ans a également été adopté. Les Républicains ont obtenu gain de cause sur plusieurs points dont la surtransposition. Ainsi, toute norme française «allant au-delà des exigences minimales européennes» devra être justifiée et évaluée avant son adoption. La gauche, elle, a fait passer des avancées sur l’amélioration des conditions de travail et la prévention sanitaire. Les débats sur l’installation et la formation des agriculteurs, ainsi que sur la simplification, se poursuivront la semaine prochaine, avant un vote solennel prévu le 26 mai à l’Assemblée. Les discussions au Sénat auront lieu la dernière semaine de juin.