L’art de reporter. L’Europe décide de ne pas décider tout de suite sur la réduction du recours aux pesticides. Les Etats membres «demandent à la Commission de fournir une étude complémentaire» sur la réglementation visant à sabrer l’usage des pesticides dans l’UE, retardant les discussions sur ce texte, au grand dam d’ONG déjà indignées par la prolongation pour un an de l’autorisation du glyphosate.
La Commission européenne avait détaillé fin juin sa feuille de route pour réduire de moitié d’ici 2030, comparé à la période 2015-2017, l’utilisation et les risques à l’échelle de l’UE des pesticides chimiques ou dangereux, en les bannissant quasi complètement des aires naturelles protégées. Ce projet de texte avait suscité une farouche résistance d’une partie des Etats membres, inquiets du sort des cultivateurs laissés «sans alternative» et d’une possible chute des rendements agricoles, alors que la guerre engagée en Ukraine par la Russie bouleverse les marchés mondiaux des céréales et des engrais.
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Demande de réactualisation
Les ministres de l’Agriculture se sont donc mis d’accord pour demander à la Commission européenne de réactualiser l’étude d’impact de son projet. La précédente «est basée sur des données collectées avant le déclenchement de la guerre en Ukraine» et pourrait «ne pas tenir compte de l’impact à long terme sur la sécurité alimentaire» de l’UE, précise le communiqué de la présidence tchèque de l’UE. Cette étude «ne fournit pas d’analyses quantitatives adéquates concernant l’impact potentiel sur le secteur agricole et l’augmentation potentielle de la dépendance alimentaire européenne», ajoute-t-il.
En attendant, «seuls les travaux au niveau technique sur les points non concernés se poursuivront», note le communiqué, rappelant que les Vingt-Sept attendent aussi «des flexibilités» dans les objectifs nationaux assignés à chaque Etat. Les ONG environnementales redoutent que le délai entraîné par l’attente d’une nouvelle étude empêche la réglementation, qui devra in fine faire l’objet de négociations entre Etats et eurodéputés, d’être adoptée avant les élections européennes de 2024. Du point de vue de la santé, l’exposition aux pesticides est, pour les scientifiques, néfaste pour les agriculteurs et les riverains, mais pas forcément selon les agences européennes.
«Une stratégie pour tuer ce plan anti-pesticides»
Avec cette décision, qui «n’a été validée la plupart du temps que par les seuls ministres de l’Agriculture sans réelle concertation avec les autres ministères concernés (Environnement, Santé…)», le «processus de négociation politique va donc être quasi à l’arrêt pendant six mois», déplore l’association Générations futures dans un communiqué, estimant que le projet de règlement sur les pesticides «est maintenant menacé dans son existence même suite aux manœuvres de l’agro-industrie».
«C’est une stratégie pour tuer ce plan anti-pesticides, en utilisant la crise alimentaire liée à l’Ukraine comme justification, mais cette opposition s’inscrit dans la protection des grands intérêts agricoles», estimait début décembre Helmut Burtscher-Schaden, expert de l’ONG autrichienne Global 2000 et co-initiateur de l’initiative «Save Bees and Farmers». De son côté, la Copa Cogeca, fédération qui représente les intérêts des agriculteurs au niveau européen, s’est «félicitée» de cette décision. «A la lumière des circonstances actuelles, il est crucial que les rendements agricoles restent stables pour produire suffisamment de produits de haute qualité et abordables», se réjouit-elle.
Par ailleurs, faute de consensus entre les Etats membres sur le sujet, la Commission a formellement adopté début décembre sa décision de prolonger pour un an l’autorisation du glyphosate dans l’UE, dans l’attente d’une évaluation scientifique cruciale sur cet herbicide controversé. L’autorisation actuelle, renouvelée en 2017, expirait le 15 décembre. Or, l’Autorité européenne de sécurité des aliments avait annoncé en mai le report à juillet 2023 d’une étude très attendue sur «les risques de l’exposition au glyphosate pour les animaux, les humains et l’environnement». Cette évaluation est jugée indispensable pour décider de la prolongation ou non, pour cinq ans, de l’autorisation délivrée à l’herbicide.