La scène est ubuesque. Dans un champ à Migné-Auxances (Vienne), un hélicoptère des forces de l’ordre vrombit au-dessus des militants antibassines tandis que des flammes et de la fumée noire, toutes proches, prennent de l’ampleur. Julien Le Guet, l’emblématique porte-parole de Bassines non merci, annonce le repli du cortège, une heure à peine après le début de la manifestation ce vendredi 19 juillet après-midi. «Nous nous sommes fait accueillir par des lacrymos sur un terrain qui vient d’être moissonné. Que l’on soit bien conscient de la manœuvre : le gouvernement, l’Etat, et le ministre de l’Intérieur veulent nous enfumer au péril de nos vies», lance-t-il, mégaphone à la main.
« La police met le feu au champ, et après, c’est nous les méchants » scandent les manifestants, après qu’un incendie s’est déclaré lors de la marche #antibassines. pic.twitter.com/uZaG4MkZkF
— Eléonore Disdero (@EDisdero) July 19, 2024
Devant la dangerosité de l’incendie, provoqué par le lancé de trois grenades lacrymogènes d’après la préfecture de la Vienne, les organisateurs de la manifestation contre les mégabassines – ces cratères d’eau qui tapent dans les nappes phréatiques et qui ne bénéficient qu’à quelques exploitations tenantes de l’agriculture intensive – ont écourté leur action. «La police met le feu au champ, et après c’est nous les méchants», scandent les participants en s’éloignant des flammes, immenses. La chaleur, déjà écrasante, est tout à coup devenue suffocante.
«Ce qui vient de se passer fait peur»
Passée la stupéfaction, les militants – 10 000 selon les organisateurs, 2 500 selon la préfecture de la Vienne – se sont résignés à rebrousser chemin. Il était prévu de cibler une filiale du semencier Terrena, qui «milite activement» pour les bassines, selon les Soulèvements de la Terre, l’un des collectifs à l’origine de cette mobilisation pour la défense de l’eau. L’idée était d’y déposer un «avis de dissolution de l’entreprise».
Pendant ce temps, un cortège de cyclistes a réussi à aller au pied des mégabassines du géant de l’élevage de volailles industrielles Pampr’œuf (Deux-Sèvres). Là, ils ont utilisé des lentilles d’eau, des végétaux invasifs, pour «désarmer» et saboter l’ouvrage. Selon les services du procureur de la République de Niort, «environ 500 personnes, pour certaines masquées» ont été aperçues «autour d’une usine puis d’une réserve». Le parquet annonce avoir ouvert une enquête pour «organisation de manifestation interdite et participation à un attroupement sans arme», confiée à la section de recherches de Poitiers. Aucun blessé n’est à déplorer.
Retenues d’eau
Dans le champ, la raison l’a emporté sur la frustration de ne pas aller au bout de l’action : le traumatisme de Sainte-Soline, où de nombreux manifestants ont été gravement blessés en mars 2023, est dans tous les esprits. «On a fait ce qu’on a pu au regard de la situation», témoigne Camille (1), une jeune femme de 25 ans venue avec ses deux amies. Plume (1), 69 ans et des décennies d’activisme au compteur, abonde : «Le but aujourd’hui n’était pas de verser dans le jusqu’au-boutisme. Mais ce qui vient de se passer fait peur.» Contrôles, blocages, fouilles, sommations – inaudibles – depuis l’hélicoptère… De nombreux militants comparent la répression policière à du «harcèlement». D’autres voient dans ce renoncement un pied de nez à des gendarmes prêts à l’affrontement.
A vrai dire, les tirs de lacrymo ont commencé dès 9 heures du matin, alors que les habitants du Village de l’eau, le QG de la mobilisation installé à Melle (Deux-Sèvres), essayaient de rejoindre leur véhicule et le début de l’action. Devant les tentes, les gendarmes se sont massivement déployés en quad, moto-cross et même sur des chevaux, affirment les Soulèvements de la Terre.
Changement d’itinéraire
Peu après, les organisateurs ont déjoué les contrôles policiers en changeant d’itinéraire à la dernière minute. Le pique-nique prévu à Saint-Sauvant, en amont de la marche, se transforme alors en casse-croûte à Migné-Auxances, à 30 kilomètres de là. «L’Etat a voulu nous tendre un piège et nous concentrer à un endroit pour nous empêcher d’en sortir. Mais, telle l’eau, nous avons réussi à nous faufiler partout», sourit Julien Le Guet.
Après une heure de voiture, les activistes se retrouvent dans une grande clairière inondée de soleil et bordée par un cours d’eau. Certains y trempent leurs pieds, tandis que d’autres somnolent sur l’herbe ou dansent devant la fanfare. «Bravo d’être arrivés jusqu’ici : c’était une sacrée mission !» se marre l’un des organisateurs, alors que l’ambiance est encore festive.
Selon les détracteurs des bassines, 93 d’entre elles sont en projet – dont une seule est déjà en fonctionnement – dans quatre départements : la Vienne, les Deux-Sèvres, la Charente et la Charente-Maritime. «La plupart des irriguants sont contraints et forcés de rentrer dans le système bassines», déplore Julien Le Guet. Mais il y a quelques jours, le tribunal administratif de Poitiers a retoqué les autorisations de prélèvement l’eau pour l’irrigation agricole dans le Marais poitevin, les diminuant d’un quart.
De quoi donner un peu d’espoir aux militants écologistes, qui poursuivent leur lutte ce samedi. Rendez-vous est donné à La Rochelle (Charente-Maritime) pour bloquer, par mer et par terre, le port industriel de la Pallice. Avec ses silos à grains et ses exports vers l’étranger, l’infrastructure est un autre symbole du système agro-industriel honni par les défenseurs de l’environnement.
(1) Les prénoms ont été modifiés.