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Libération
Reportage

Manifestation anti-bassines en Auvergne : «On ne souhaite pas détruire, mais restaurer le vivant»

Plusieurs milliers de personnes ont participé à une randonnée «festive et pédagogique» ce samedi 11 mai à quelques kilomètres de Clermont-Ferrand, dans une zone qui pourrait accueillir deux projets de bassines qui constitueraient les plus importantes réserves de ce type en France.
Près de Billom samedi. Les deux retenues envisagées en Auvergne contiendraient 2,3 millions de mètres cubes d'eau. (Jean-Philippe Ksiazek/AFP)
par Sonia Reyne, correspondante à Clermont-Ferrand
publié le 11 mai 2024 à 18h07

Plusieurs milliers de personnes, entre 4 000 selon les autorités et 6 500 selon les organisateurs, se sont mobilisées ce samedi 11 mai pour dire leur opposition à deux projets de «giga bassines» en Auvergne. Elles se sont rassemblées tout autour des 14 hectares censés accueillir, un jour, un des deux sites. Portées par 36 agriculteurs regroupés dans l’Association syndicale libre (ASL) des Turlurons, ces deux retenues de 2,3 millions de mètres cubes d’eau sur 330 000 mètres carrés de bâche plastique seraient – si elles voient le jour puisque aucune demande formelle d’autorisation n’a encore été déposée – les plus importantes de France en volume. L’objectif : irriguer 800 hectares de cultures, réparties sur des exploitations agricoles des adhérents de l’ASL des Turlurons, dans la plaine de la Limagne, où est implanté Limagrain, le quatrième semencier mondial. Le projet est estimé entre 20 et 25 millions d’euros. L’autre, celui de 18 hectares, est mis en pause le temps de trouver un nouveau lieu d’implantation.

Des familles avec leurs enfants, des groupes de jeunes militants mais aussi beaucoup d’agriculteurs retraités et de proches du monde paysan se sont retrouvés dès 9 heures à la gare de Chignat, à Vertaizon. Bassines non merci 63 (BNM), la Confédération paysanne, Extinction Rebellion, les Faucheurs volontaires et les Soulèvements de la Terre ont pris la parole avant que la marche s’élance, sous le regard d’un important dispositif policier. L’immense parcelle dont les militants anti-bassines font le tour appartient à trois agriculteurs adhérents et ce matin de plein soleil, on reconnaît de l’orge et d’autres cultures céréalières. Mais surtout, on distingue encore grâce au dénivelé que les lieux étaient «une zone humide qui a été asséchée il y a une cinquantaine d’années pour les besoins de l’agriculture intensive», comme le décrit Franck, céréalier bio à la retraite.

«Restaurer le vivant»

La longue chaîne humaine, au dress code teinté de bleu, est émaillée du jaune des tee-shirts de la Confédération paysanne. Une foule qui entreprend de planter noisetiers, chênes, framboisiers, érables, ormes, bref tout ce qui pourrait constituer une haie autour de cette immense parcelle. «C’est une plantation symbolique pour montrer que nous ne souhaitons pas détruire. Ce qu’on veut, c’est restaurer le vivant», explique Ludovic Landais, porte-parole de la Confédération paysanne locale. «Nous ne sommes pas des anti-irrigants. Ce que l’on souhaite, c’est plutôt flécher l’usage de l’eau pour moins d’exportations, diversifier ce qui est cultivé dans la plaine de la Limagne.»

Le long cortège serpentant entre les champs s’anime de plusieurs chorales, derrière des banderoles créatives, poissons et méduses géantes, serpents de plusieurs mètres… Une cinquantaine de vélos ferment la colonne, et tout ce petit monde est encadré par deux tracteurs. Après avoir symboliquement planté une haie, les opposants reprennent d’un bon pas leur marche à travers la campagne pour un autre chantier temporaire. Ils vont boucher un drain avec des branchages de genêt. «Là aussi, c’est une action symbolique, précise Antoine (1), géographe et militant de BNM 63. Restaurer les zones humides, comme reméandrer les cours d’eau et combler les drainages profonds permettrait de ralentir le cycle de l’eau. Il nous paraît plus judicieux de soutenir politiquement et financièrement cette restauration que la solution de court terme que sont les mégabassines. Ces espaces, en plus de la diversité biologique et écosystémique qu’ils abritent, constituent des lieux naturels de stockage de l’eau. Il s’agit de véritables éponges retenant l’eau lorsqu’elle est abondante et la répartissant dans les sols lorsqu’elle vient à manquer.»

«Sécurité alimentaire»

De son côté, Limagrain explique qu’«il est essentiel que les agriculteurs puissent continuer à produire des cultures de qualité en quantité suffisante», et donc «irriguer lorsque cela est nécessaire», au nom de la «sécurité alimentaire» en période de changement climatique.

Pendant la longue matinée qui s’étire avec un pique-nique, les nombreuses forces de gendarmerie mobilisées maintiennent une distance de bon aloi avec la manifestation. Les semaines précédentes, le préfet du Puy-de-Dôme a rencontré les agriculteurs de l’ASL des Turlurons pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de confrontation entre manifestants et militants pro-bassines. Il a en outre interdit tout rassemblement sur le territoire de Clermont-Ferrand et sur la partie nord-est du département du Puy-de-Dôme. L’endroit où sont installées les infrastructures de Limagrain, de l’autre côté du département. Mais ce samedi, le mot d’ordre d’une «randonnée festive et pédagogique» n’a pas été balayé.

(1) Le prénom a été modifié.