L’exploitation de Kévin Brouillard à Orveau (Essonne), au sud de Paris, ce lundi 6 janvier au matin, est encerclée par les blindés de la gendarmerie. Pour commencer l’année 2025, le tout frais gouvernement Bayrou ne veut pas d’une manifestation d’agriculteurs dans la capitale. La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a prévenu, sur TF1 : «Non, on ne bloque pas, en plus un jour de rentrée scolaire.» Alors le gouvernement se barricade face aux rassemblements prévus par la Coordination rurale. La deuxième force syndicale de France, connue pour ses opérations coup de poing et dont certains membres affichent leur proximité avec l’extrême droite, avait prévu plusieurs manifestations dans et autour de Paris. Sans grand succès, donc.
Kévin Brouillard, vice-président de la section régionale de la Coordination rurale, avait mis son champ à disposition pour servir de point de ralliement aux tracteurs de ses collègues. Les forces de l’ordre les ont nassés sur place. Et voilà une centaine de personnes et une quarantaine de véhicules qui se tiennent chaud autour d’un brasero. Odeur de pétrole et boue qui colle aux chaussures. Parmi eux, Hubert, 47 ans, venu au volant d’une camionnette bleue. Céréalier et viticulteur en Charente-Maritime, il a décidé d’arrêter de faire des céréales. «L’an dernier j’ai perdu 30 000 euros, et là, ce sera un peu plus, explique-t-il à Libé. Vous savez, on veut juste vivre de notre métier, c’est tout.» Un tracteur tire un cercueil sur lequel est écrit «Asphyxié par les coûts».
«Petit, on en rêve, grand, on en crève»
Certains, lassés d’attendre, ont voulu forcer le barrage avec leurs tracteurs. Ils ont été rattrapés plus loin. Jérôme Batret, président de la CR43, lui, a joué la carte diplomatique pour sortir avec succès. Avant de rejoindre une vingtaine d’autres militants pour «aller partager la galette à l’Elysée». Lui aussi s’est finalement heurté à un mur bleu. «On n’a pas été bien reçus, ils nous ont bousculés», dit-il tout en affirmant ne pas vouloir baisser les bras. D’autres ont aussi essayé de se rassembler au Trocadéro, sans vraiment y arriver. Dans les Yvelines, une dizaine de tracteurs et une quinzaine de voitures ont forcé le passage et se sont engagés sur la route nationale N10, avant d’être bloqués au niveau des Essarts-le-Roi. Une opération escargot a aussi lieu sur la route nationale N4, le matin, à l’est de la capitale, ainsi qu’au sud de Lyon. La veille, le secrétaire général de la CR, Christian Convers, avait été interpellé dans le XVIIe arrondissement de Paris, dans le cadre d’une manifestation interdite par la préfecture. Il a passé la journée de lundi dans la capitale, «marqué à la culotte» par les forces de l’ordre. «On est allés casser la croûte au bistrot, ils nous ont attendus devant», s’étonne-t-il au téléphone.
Vers midi, à Orveau, le temps n’était pas à la collation. Un vent froid s’est levé accompagné d’une pluie glacée. Les agriculteurs rassemblés s’agitent. Le convoi va pouvoir partir. «Petit, on en rêve, grand, on en crève», lit-on sur une palette. Paris n’est plus l’objectif. Direction une sucrerie Téréos située à Artenay dans le Loiret, «qui va profiter de l’accord avec le Mercosur, car elle investit au Brésil». Le tout sous escorte policière. «On n’avait pas le choix», peste Kévin Brouillard, les yeux rougis par une nuit sans sommeil. Jérôme, 51 ans, est déjà au volant de son tracteur New Holland bleu. Les rendements 2024 de ce céréalier sont en baisse. Il n’a pas non plus pu semer tous ses champs à cause du mauvais temps. «Je vis sur le salaire de ma femme, infirmière à l’hôpital», précise-t-il. Il est déçu de ne pas pouvoir se rendre sur la capitale. Concernant l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur d’Amérique latine, le président français, Emmanuel Macron, a répété ce lundi devant les ambassadeurs français réunis à l’Elysée, que «la messe n’est pas dite», malgré la conclusion des négociations par la commission européenne. Le texte doit encore être ratifié par les pays membres.
«Parti pour rester»
La ministre de l’Agriculture estime qu’il n’y a pas d’urgence à recevoir les syndicats agricoles cette semaine, puisque le Premier ministre, François Bayrou, s’est engagé à les rencontrer un à un lundi prochain. Pas de quoi satisfaire Jérôme, qui préférerait voir le gouvernement s’adresser à tous les syndicats en même temps, pour éviter «les connivences» avec certains. La FNSEA, organisation majoritaire, est évidemment ciblée. Les syndicats agricoles sont engagés dans une campagne électorale en vue des élections dans les chambres d’agriculture à la fin du mois. «Mais nous, on se bat pour tous les agriculteurs. Si les premiers gouvernements [ceux de Gabriel Attal et de Michel Barnier, ndlr] avaient pris le sujet à bras-le-corps dès le début des mobilisations, nous ne serions pas là», insiste encore Jérôme. Derrière son tracteur, il tire une caravane, avec du ravitaillement. «Je suis parti pour rester une semaine.» Les agriculteurs de la Coordination rurale veulent installer leur mouvement dans le temps.
Un temps que n’a pas forcément le gouvernement. «Dans un mois, ils ne seront plus là», lance un agriculteur. «Je ne comprends pas qu’ils soient aussi agressifs avec nous, s’étonne Christian Convers. Tout ce qu’on demandait, ce sont les mêmes règles pour tout le monde en Europe et un meilleur contrôle sur les importations. Mais je n’ai pas eu de réponse ni du cabinet de Retailleau ni de Bayrou. A part les gendarmes.»