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Biodiversité

Pêche : l’ONG Bloom et des scientifiques proposent des «règles d’or» pour une pêche durable

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Plusieurs chercheurs réunis par l’association spécialisée dans la défense des océans détaillent des mesures pour «assurer la régénération de la vie marine et s’adapter au changement climatique».
«Moins il y a de poissons dans la mer, plus il faut des moyens lourds pour aller les chercher. Le dernier poisson sera pêché au bulldozer», imagent les signataires d'un article publié dans la revue «npj Ocean Sustainability» (Nuture/Getty Images)
publié le 23 septembre 2024 à 11h43

Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. Trente chercheurs et associatifs du monde entier ont été réunis par l’ONG de Claire Nouvian Bloom pour redéfinir la notion de pêche durable. Ils défendent leur vision dans un article publié par la revue scientifique npj Ocean Sustainability ce lundi 23 septembre. «En Europe, les quotas de pêche actuels se basent sur la durabilité telle qu’elle a été définie au milieu du XXe siècle, pose Didier Gascuel, professeur en écologie marine et en durabilité des pêches à l’institut Agro, et cosignataire. C’est une approche qui considère chaque espèce individuellement. Il faut dorénavant analyser la durabilité à l’échelle de l’écosystème.» Le tout est porté par ce constat implacable de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La part des populations de poissons surexploitée ne cesse de grandir, passant de 10 % en 1974 à 37,7 % en 2021. «Une action urgente est nécessaire pour accélérer la conservation et la reconstitution des stocks halieutiques», écrit la FAO dans son rapport sur la situation mondiale des pêches et de l’aquaculture, publié en juin.

Concrètement, les auteurs proposent deux principes déclinés en onze actions, ou «règles d’or». Il s’agit donc «minimiser les impacts environnementaux, assurer la régénération de la vie marine et des habitats marins et s’adapter au changement climatique» tout en favorisant «la santé, le bien-être et la résilience des personnes et des communautés, et pas seulement des entreprises». La première mesure n’est pas la plus simple à faire comprendre aux politiques et autres industriels du secteur. Il s’agit de pêcher moins. «Tous les ans, les professionnels vont voir les politiques pour leur demander d’augmenter leurs quotas de pêche. Et les décideurs cèdent bien souvent. L’effondrement de l’industrie est inévitable», assure Callum Roberts, professeur de conservation marine à l’université d’Exeter et principal auteur de l’article. Il appelle aussi à un changement de la politique de subvention du secteur. «Beaucoup de pêcheries industrielles sont dans un équilibre économique précaire. Elles vivent grâce à des subventions. De l’argent public qui promeut donc la surpêche. Nous proposons que cet argent soit utilisé pour les aider à rendre leur activité durable», poursuit le Britannique.

«Le dernier poisson sera pêché au bulldozer»

Paradoxalement, moins pêcher pourrait rendre les pêcheries plus rentables. «Moins il y a de poissons dans la mer, plus il faut des moyens lourds pour aller les chercher. Le dernier poisson sera pêché au bulldozer. Mais si vous laissez les stocks se régénérer, les poissons sont plus faciles à aller chercher, et donc, moins chers», analyse Didier Gascuel. Pêcher moins, c’est aussi mieux répartir les subsides de cette activité. «Aujourd’hui, des pêcheries industrielles exploitent les eaux au large de l’Afrique de l’Ouest pour produire de la farine qui viendra nourrir les saumons d’élevage. Cela concurrence les pêcheurs locaux qui approvisionnent leur marché intérieur. Concrètement, on vole les poissons d’Afrique pour engraisser les saumons de Noël. Cela ne va pas. La durabilité doit aussi être sociale», plaide Didier Gascuel.

Selon les auteurs, certains labels garantissant la durabilité des pêches sont, eux aussi, trompeurs. Dans leur viseur, le MSC – pour Marine Stewardship Council – représenté par un poisson blanc sur fond bleu. Il labellise 19 % de la production mondiale de poisson sauvage. «Certains poissons sont attrapés d’une manière qui endommage l’environnement», explique Callum Roberts. Au cœur des critiques, le chalutage profond et les bateaux usines. Pour Bloom et les scientifiques signataires, il faudrait limiter la taille des bateaux et interdire tous les chaluts, cette technique consistant à traîner de grands filets qui raclent le plancher océanique. Selon MSC, l’analyse doit se faire au cas par cas, en fonction des connaissances scientifiques sur l’écosystème local.

Protéger toutes les espèces, c’est aussi permettre à la «machine océanique» de fonctionner, note Didier Gascuel. L’océan offre beaucoup d’autres services en plus de nous nourrir : des plages propres, le ralentissement du changement climatique en captant le CO2 atmosphérique. Ces fonctions sont remplies par la diversité des êtres vivants qu’il accueille. «En mer du Nord, illustre le chercheur, la disparition des moules et des huîtres dans certaines zones a rendu l’eau plus trouble, réduisant la pénétration des rayons du soleil.» De son côté, Callum Roberts formule un vœu : «Nous espérons, avec cet article, faire monter la pression sur les distributeurs, les industriels et les gouvernements. La tendance actuelle nous emmène dans la mauvaise direction.»