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Pesticides : Générations Futures conteste la prolongation d’autorisation de 5 produits en Europe

L’association demande à la Commission européenne de réexaminer cinq dossiers de substances controversées dont l’usage a été prolongé d’une manière qu’elle juge «illégale».
Certaines substances toujours autorisées polluent les eaux. (Alexandra Accart/Naturimages)
publié le 12 décembre 2023 à 12h22

Le système d’évaluation des pesticides en Europe a des «failles béantes», dénonce l’association de protection de l’environnement Générations futures. Si le renouvellement de l’autorisation du glyphosate pour dix ans dans l’Union européenne (UE) a fait couler beaucoup d’encre en novembre, d’autres substances voient leur approbation prolongée sans études approfondies, dénonce l’ONG.

Face à ce constat, Générations Futures a décidé de «lancer des actions juridiques européennes pour demander le réexamen des prolongations d’approbation au niveau européen de cinq substances actives pesticides particulièrement préoccupantes». Première étape, l’association demande à la Commission européenne de réexaminer les dossiers relatifs au S-métolachlore, au tébuconazole, au prosulfocarbe, au chlorotoluron et au flufénacet. Parmi les nombreuses substances dont l’autorisation arrive à échéance fin 2023 ou courant 2024, ces cinq pesticides ont été sélectionnés en fonction de leur toxicité et du risque d’exposition pour la population française. En cas de refus de Bruxelles, l’ONG assure qu’elle saisira la Cour de justice de l’UE.

Prolongation automatique

Toute demande de prolongation d’une substance se traduit par une procédure européenne qui vise à vérifier l’innocuité du produit, explique Générations futures. Si l’évaluation n’est pas finalisée à temps avant la fin de la période de validité initiale du pesticide, alors celui-ci bénéficie d’une prolongation automatique. Une situation très fréquente et qui mène souvent à un «rab» de temps qui excède parfois l’autorisation initiale, pointe l’ONG.

C’est ce qu’il s’est passé pour le S-métolachlore, l’un des herbicides les plus utilisés en France. Environ 3,4 millions de personnes ont bu de l’eau du robinet dépassant la norme de qualité pour cet herbicide en 2021, selon un bilan du gouvernement français sur la qualité de l’eau. L’approbation initiale de cette substance a été accordée pour dix ans de 2005 à 2015. Après une demande de prolongation par l’industriel Syngenta, «de nombreux retards dans la procédure d’évaluation», ont mené de facto à une nouvelle approbation du S-métolachlore, note l’ONG. La substance a ainsi été prolongée huit fois jusqu’en 2024, pour une durée totale de plus de neuf ans.

Pourtant, l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa), une des instances en charge d’évaluer la dangerosité des pesticides, a conclu en février que les usages du S-métolachlore entraînent des risques inacceptables pour les eaux souterraines et les mammifères terrestres. La Commission européenne a malgré tout accordé en mai «un peu plus d’un an supplémentaire au S-métolachlore, en toute connaissance de l’avis de l’Efsa», souligne Générations futures. L’Agence française de sécurité sanitaire, elle, veut interdire les principaux usages de cet herbicide dans l’Hexagone.

Dans ce dossier, la Commission européenne a estimé que la demande de réexamen de Génération futures était infondée et que la décision d’approbation était conforme à la législation de l’UE. L’ONG annonce vouloir saisir la Cour de justice de l’Union européenne.

Effets sur le fœtus et pollution des eaux

Le tébuconazole est un fongicide actuellement classé reprotoxique, c’est-à-dire qui peut avoir des effets sur le développement des fœtus. Or, selon le règlement européen, un tel classement constitue «un critère d’exclusion devant conduire à l’interdiction européenne de la substance». Le tébuconazole a aussi été reconnu comme perturbateur endocrinien par plusieurs études. Malgré tout, son autorisation a été prolongée cinq fois et reste valable jusqu’en 2026.

Le prosulfocarbe est une substance très volatile, «responsable de la contamination de l’air, des riverains et de cultures avoisinantes et dont le potentiel cancérigène n’a pas été évalué correctement», remarque Générations futures. Selon l’ONG, les deux seules études de cancérogénicité disponibles dans le dossier pour la prolongation de cette substance sont très anciennes (1987 et 1988) «et ne respectent pas les exigences des lignes directrices de l’OCDE.» L’approbation du prosulfocarbe a été prolongée six fois et la substance reste donc autorisée jusqu’en 2027.

La quatrième substance, le chlorotoluron, est «persistante, suspectée cancérigène et reprotoxique». A ce titre, sa durée d’approbation devrait être de sept ans, selon le règlement européen. De plus, l’un de ses métabolites (des substances qui se forment lors de la dégradation des molécules actives de pesticides) contamine probablement les eaux souterraines à «des teneurs inacceptables», ce qui pourrait potentiellement mener à son interdiction selon le règlement européen. Son autorisation a pourtant été prolongée huit fois, rallongeant sa durée d’utilisation de dix ans.

Enfin, l’autorisation d’utilisation de l’herbicide flufénacet a été prolongée neuf fois, pour une durée totale supplémentaire de… onze ans. Ce Pfas, ou polluant éternel, est particulièrement toxique pour les organismes aquatiques. Le flufénacet a aussi un métabolite, le TFA, qui est extrêmement persistant dans les sols. Il est nécessaire d’attendre près de trente ans pour que sa concentration dans les sols diminue de moitié, et le produit peut facilement migrer vers les nappes phréatiques, note Générations futures.

Ainsi, l’association juge que ces cinq pesticides sont particulièrement «problématiques» et que les prolongations d’approbation sont «abusives et illégales». Elle estime que plusieurs bases juridiques n’ont pas été respectées, comme le principe de précaution, ou «l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, prévu dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne». La Commission européenne fournira ses réponses au cas par cas dans les prochains mois.