Une décision pour entraver le cynisme du gouvernement sur la question des pesticides. Mardi 5 mars, le Conseil d’Etat a fait le choix d’annuler pour «excès de pouvoir» une dérogation qui permettait à la France de continuer à exporter, hors de l’Union européenne, des «produits phytosanitaires» composés de substances actives toxiques n’ayant pourtant plus d’autorisation de mise sur le marché sur le Vieux Continent.
Cette dérogation avait été introduite par l’exécutif dans le décret d’application de la loi agriculture et alimentation Egalim, publié le 23 mars 2022, alors même que cette loi promulguée en 2018 comprend parmi ses objectifs principaux «d’interdire la production, le stockage et la circulation de certains produits phytopharmaceutiques pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale et de l’environnement». Dans le but d’obtenir la suppression de cette réglementation d’exception, contraire «tant à l’esprit qu’à la lettre de la loi», l’association Générations futures avait donc saisi la plus haute juridiction administrative. Qui lui a donné raison.
«Résidus dans nos assiettes et nos aliments»
«La tentative d’introduire des dérogations pour l’exportation des pesticides a clairement été rejetée par le Conseil d'Etat, se félicite François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Cette décision réaffirme tout haut la primauté de la protection de la santé et de l’environnement sur les intérêts économiques. Et permet de répondre aussi aux attentes des agriculteurs qui se plaignent, à juste titre, de concurrence déloyale en matière de pesticides… Pesticides interdits dans l’UE mais utilisés dans des pays tiers, et qui reviennent donc sous forme de résidus dans nos assiettes et nos aliments.»
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Alors, que prévoyait cette dérogation ? Prévue par l’article 1er du décret, elle permettait à la France de continuer à exporter loin de l’Europe, et à sa convenance, certains pesticides proscrits ne faisant plus l’objet d’aucun cadre formel européen. Dit autrement, lorsque la Commission européenne établit un «délai de grâce» pour certaines molécules non renouvelées, permettant aux Etats membres d’autoriser encore un temps la vente de leurs produits, le gouvernement est dans l’obligation de respecter ce délai maximal. En revanche, pour les substances retirées sans qu’aucun délai de grâce ne soit fixé par Bruxelles, la France pouvait jusqu’ici instaurer un système d’autorisation provisoire «fait maison», ne prévoyant «aucun encadrement de la durée et aucune prise en compte, dans l’évaluation prévue, des nécessités de protection de la santé humaine ou animale et de l’environnement», pointe la décision du Conseil d'Etat.
Pas près de connaître un coup d’arrêt
«Ce décret permettait au gouvernement de créer son propre délai de grâce dans le silence de la Commission européenne, et donc de faire perdurer des autorisations permettant aux entreprises de continuer à vendre à l’étranger, développe Hermine Baron, avocate de l’association requérante. Sauf que cette dérogation est en totale contradiction avec la loi Egalim, qui pose une interdiction stricte. Si Bruxelles ne prononce pas de délai de grâce sur un produit, alors précisément, la loi acte que ce produit doit définitivement être retiré du circuit. L’idée n’est donc pas de trouver un moyen de l’exporter encore…»
Si cette décision de la haute juridiction est un pied de nez aux pratiques exportatrices de l’exécutif, le business des pesticides n’est pourtant pas près de connaître un coup d’arrêt. Car l’interdiction de vendre prévue par la loi Egalim s’applique aux «produits phytosanitaires» constitués de substances non autorisées sur le sol européen et non aux substances actives elles-mêmes. Selon une enquête menée par l’ONG suisse Public Eye, la France aurait réussi à exporter, rien que pour l’année 2022, plus de 7 400 tonnes de pesticides pourtant interdits en Europe «dont environ les trois quarts étaient destinés à des pays à revenu faible ou intermédiaire.»