Voilà plus de quinze ans que les différents gouvernements français bataillent à réduire l’usage des pesticides dans les champs. En vain. La dernière version du plan Ecophyto – la stratégie «Ecophyto 2030» présentée en octobre par les ministères concernés – a pour objectif une baisse de 50 % de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques (les pesticides, donc), à l’horizon 2030 par rapport à la période 2015-2017. Ce lundi 12 février, il a fait l’objet d’une vive contestation par huit organisations environnementales, qui condamnent la remise en cause du Nodu.
Pour mesurer si, effectivement, les agriculteurs épandent bel et bien de moins en moins de pesticides, le gouvernement se réfère au fameux Nodu, un indicateur technique controversé. Le 1er février, face à la gronde des lobbyistes des pesticides et de la FNSEA, le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé la suspension du plan Ecophyto, «le temps de mettre en place un nouvel indicateur». Ce qui n’a pas manqué de provoquer l’ire des associations environnementales. Libération fait le point.
Une histoire de dangerosité, vraiment ?
Le Nodu, pour «Nombres de doses unité», est l’indicateur de référence du plan Ecophyto depuis sa première mouture en 2008. Utilisé uniquement en France, il s’exprime en hectares, et est calculé à partir des données des ventes de produits phytosanitaires. Cet indicateur permet de connaître à lui tout seul la somme des substances actives employées dans chaque hectare de chaque champ. Si le Nodu était de 82 millions d’hectares traités en 2009, il est monté à 120,3 en 2018, avant de redescendre à 85,7 en 2021. L’objectif du gouvernement est donc de tomber à environ 50 millions d’hectares traités aux pesticides d’ici 2030. Le Nodu évalue «notre dépendance aux pesticides, en évitant les biais liés aux grandes différences de doses homologuées entre molécules», défend l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), sur son site.
Interview
Mais cet indicateur fiable est contesté. Aux manettes de cette offensive, on retrouve le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, mais également l’industrie chimique et les lobbyistes des pesticides. Tous reprochent au Nodu de ne pas refléter les efforts des agriculteurs, car il ne prend pas en compte la dangerosité des produits utilisés. Si un paysan décide de changer de pesticide pour en prendre un moins nocif pour la santé et l’environnement : le dit pesticide sera moins efficace. Résultat, il en épandra davantage, faisant augmenter le Nodu, alors que le produit est moins dangereux. Le gouvernement veut croire en cette version, et estime également que le Nodu ne reflète pas la baisse «de 96 % en dix ans» des pesticides les plus dangereux, notamment les agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR).
Quelles alternatives ?
Le Nodu plante une épine dans le pied de l’exécutif. Avec cet indicateur, l’utilisation des pesticides pour la période 2011-2021 a augmenté de 3 %. Pour inverser la tendance, quoi de mieux que de changer tout simplement d’indicateur ? Si rien n’est encore acté, le gouvernement envisagerait d’utiliser le HRi-1, un indicateur européen cette fois, qui ne fonctionne pas tout à fait de la même manière que le Nodu. En plus de prendre en compte les volumes de substances actives vendues, ces dernières sont multipliées par des coefficients censés refléter la dangerosité des produits phytosanitaires. Avec cet indicateur, la France a connu une baisse de 32 % de l’usage des pesticides entre 2011 et 2021. Un chiffre qui plaît beaucoup plus au gouvernement, puisqu’il va dans son sens.
«Le HRi-1 conforte très bien le lobby chimio-industriel», fustige auprès de Libération Jean-Marc Lalloz, membre du directoire agriculture et alimentation de France Nature Environnement (FNE). Tandis que «le Nodu est fondamental et le fruit d’une réflexion scientifique de longue date», assure-t-il. Selon les associations environnementales, la toxicité des pesticides est systématiquement sous-évaluée, et le mieux à faire reste avant tout d’en réduire l’utilisation, plutôt que d’en épandre des soi-disant moins dangereux. D’autres indicateurs, comme l’indice de fréquence de traitement (IFT) ou la quantité de substances actives (QSA) existent également, mais sont beaucoup moins complets que le Nodu.
Chaise vide
A la sortie de la réunion du Comité d’orientation stratégique et de suivi (COS) du plan Ecophyto II +, les différents ministères présents autour de la table ont déclaré avoir débattu sur les différents indicateurs à leur disposition. L’entourage du ministre de l’Agriculture assure : «Marc Fesneau n’annonce pas le remplacement d’un indicateur par un autre. La question c’est quel indicateur nous servira de référence pour calculer la baisse de 50 % d’utilisation des pesticides ?» Malgré le départ contestateur de huit associations environnementales, le calendrier reste le même : le nouvel indicateur sera annoncé avant le début fatidique du salon de l’Agriculture, où les agriculteurs attendent des réponses concrètes à leurs protestations.