Beaucoup de jeunes ont convergé ce week-end vers Sainte-Soline afin de manifester contre les mégabassines. Auprès de Libération, quatre d’entre eux racontent leurs parcours, leurs espoirs, leur vision de la mobilisation sociale contre la réforme des retraites et comment leur combat écologique et anticapitaliste s’inscrit dans une véritable convergence des luttes.
Pilou (1), 19 ans, étudiante à Paris
«J’ai pris part au mouvement contre la réforme des retraites car je pense que tout est lié»
«La gestion de l’eau, dans tous ses aspects, me préoccupe énormément : la question des océans, la répartition de l’eau douce, et tous les conflits qui en découlent. Faire des actions concrètes qui touchent à la gestion de l’eau, c’est incroyable, et je suis très contente d’être là. J’ai déjà participé à des actions militantes, mais pas que sur les bassines avec les Soulèvements de la terre. J’étais aussi à Youth for Climate à un moment. Je suis venue ici en bus et en stop. On a réussi à éviter tous les barrages [de gendarmerie], donc ça va.
«Je ne sais pas si agir ainsi, en venant sur les bassines, est le seul moyen de faire. C’est un moyen parmi d’autres, mais c’est celui qui me va, qui est cohérent avec ce que je pense, qui me semble intéressant. Dans les cercles militants, la cause des mégabassines est de plus en plus connue, et partagée. Mais je fréquente aussi des cercles non-militants, où cela est assez absent. J’ai pris part au mouvement contre la réforme des retraites, en manifestant, car je pense que tout est lié.»
Lu (1), 20 ans, étudiante à Lyon
«J’ai l’impression que la tendance à la radicalité est largement partagée dans la jeunesse»
«On est venu ici avec plein de potes déters [pour déterminés, ndlr], qui avaient des voitures et qui se sont chauffés. J’ai déjà participé à des mouvements revendicatifs, des manifs, notamment contre les retraites, et anticapitalistes… Mais les bassines, c’est la première fois. Ça fait trois mois que j’ai rencontré plein de gens, et fait plein de trucs qui ont accru ma politisation. Je n’ai pas découvert ces sujets il y a trois mois, mais le mouvement contre les retraites a impulsé quelque chose à la fac, chez les jeunes en général, qui a fait monter en radicalité tout le monde.
«Ce qui m’a éveillé, ce n’est pas tant les cercles de militants, au départ, mais des cours de socio, où j’ai chopé les bases… J’avais de bons profs. J’ai l’impression que la tendance à la radicalité, à la mobilisation, est largement partagée dans la jeunesse. Mais c’est biaisé, parce que mes cercles sont proches de moi, de mes positions. Venir ici était important, mais je ne sais pas si je pourrais être satisfaite, car on ne va pas faire la révolution aujourd’hui. Mais obtenir gain de cause par rapport aux mégabassines, ce serait déjà pas mal.»
Maë (1), «autour de 20 ans», venu des «environs de Lyon»
«Quand on rejoint les luttes anticapitalistes, on en rejoint d’autres»
«Je voulais venir en octobre dernier à Sainte-Soline, c’était la plus grosse mobilisation contre les bassines, mais je n’ai pas pu. Quand j’ai vu les photos et les vidéos, je me suis dit que c’était incroyable ce qui avait été fait. Ça m’a motivé à venir ici aujourd’hui. C’est le prolongement d’une lutte que je mène déjà : j’ai participé à des manifestations massives contre Monsanto. Là c’est un terrain particulier, on est dans un champ, on va s’attaquer à une bassine, c’est impressionnant.
«Je ne me mobilise pas que dans la lutte environnementale. En général, c’est contre ce gouvernement, contre l’Etat. Quand on rejoint les luttes anticapitalistes, on en rejoint d’autres, qu’elles soient antifascistes, internationalistes, féministes, queer. C’est une convergence. Ici, il y a une convergence parce que l’écologie l’appelle. La dernière manif l’a montré, cette lutte peut faire flancher le pouvoir.
«Je suis rentré dans ces luttes il y a deux ou trois ans. En venant en manifestation, en essayant de rencontrer des gens, en participant à des squats, des lieux militants, qui font des actions, et en rencontrant des gens. Je pense que si on met totalement les keufs en déroute, ça montrerait que le gouvernement a peur. Sachant qu’ils [les gendarmes] sont bien plus nombreux que la dernière fois. Et nous aussi. Si on arrive à saboter une bassine, ça montre que notre lutte est utile. Y a toujours l’idée de la répression qui est derrière. Là on est dans un champ, on est plus de 10 000, et il n’y a que 3 000 keufs. On est dans des groupes affinitaires, ça rassure. Il y a une grosse énergie, une adrénaline, une détermination, ça éteint la peur.»
Aurélien, 26 ans, région parisienne, thèse de doctorat
«La réforme des retraites, un pas en avant en direction du vide»
«Les mégabassines, c’est un enjeu dont j’ai entendu parler cet été. Des copains m’ont proposé d’y aller, j’ai suivi. On est dans un contexte où les gens commencent à se révolter contre la politique du gouvernement. J’ai participé à un grand nombre de manifs contre la réforme des retraites. J’étais assez curieux de découvrir une autre forme de mobilisation, pour une autre cause. Je me suis mobilisé contre les retraites car je viens d’un milieu où les personnes ont des métiers physiques et compliqués. C’est évident que la réforme des retraites qui est mise en place va avoir un impact sur ces gens-là.
«Il y a aussi un problème systémique : on va à la catastrophe d’un point de vue environnemental et climatique. Ce qui nous mène à la catastrophe, c’est notre mode de production, nos politiques économiques, et aussi nos politiques sociales. La réforme des retraites s’inscrit dans ça. C’est un pas en avant en direction du vide. Les intérêts économiques, privés, vont toujours primer sur le consensus populaire, sur les débats, sur les alternatives. Plus particulièrement depuis une semaine, on se rend compte que la répression prend une tournure très violente.
«J’ai été invité par des amis à venir ici, ça s’est fait très rapidement. L’effet que ça me fait d’être ici ? C’est un moment de joie. On a presque l’impression d’être en colonie de vacances. On est assez loin, pour l’instant, de l’ultra gauche menaçant notre pays, tel que le dénonce notre ministre de l’Intérieur. Mais c’est connu que les insurrections ouvrières, les manifestations, ce sont des moments de joie, de fête et de célébration. Je ne suis pas surpris de voir ça ici. C’est presque puéril, mais dans le bon sens du terme. Il y a ce côté très collectif. C’est pas du tout “on va à la castagne”, c’est plutôt “prenez soin les uns des autres”. C’est un système de valeurs qui se développe naturellement quand l’humain est confronté à la catastrophe, et c’est celui qu’il faudra mettre en place quand toutes les conséquences de nos actions sur l’environnement vont nous tomber dessus.»
Hiboude (1), 23 ans, étudiante en école de commerce à Paris
«On est descendus pour faire masse»
«J’ai fait les manifs contre les retraites ces derniers temps, mais c’est ma première contre les bassines. Je suis à Extinction Rebellion et c’est hyper important d'être là. Au niveau de l’environnement, les mégabassines sont une catastrophe, c’est un accaparement de l’eau au service d’une agriculture ultra-intensive alors qu’on aurait besoin de petites fermes. Le sujet agricole m’intéresse car je suis en alternance dans une entreprise qui bosse avec des petites fermes, on gère des boutiques en direct avec les producteurs. C’est nous les jeunes qui allons vivre toute notre vie avec le réchauffement climatique. J’étais déjà sensibilisée aux thématiques environnementales pendant ma prépa, mais la crise du Covid a été un électrochoc. J’ai vu à quelle vitesse pouvait aller une pandémie et son lien avec l’environnement.
«Si on veut un monde plus altruiste, il faut qu’on se bouge. Aujourd’hui, je suis en école de commerce. J’ai bifurqué mais je vais jusqu’à bout de mon diplôme. On ne vient pas pour caillasser [les forces de l’ordre], mais on est descendus pour faire masse. C’est arbitraire d’avoir interdit la manifestation, on est en démocratie. Dans un état de droit, on doit avoir le droit de manifester.»
Blanche (1), 23 ans, étudiante à Paris
«On a essayé les autres recours et il ne nous reste plus rien»
«Je fais mes études à Paris, mais je ne viens pas de Paris. J’ai participé à des manifs féministes, à celles contre les retraites, mais c’est ma première manif d’envergure. Ce sont celles contre les retraites qui m’ont donné envie d’agir. On a essayé les autres recours et il ne nous reste plus rien. Contrairement aux manifs retraites, où on se fait gazer alors que l’on n’a pas choisi, ici chacune et chacun est averti·e de ce qui peut se passer.
«C’est un symbole, la mégabassine. Une minorité veut toujours plus, alors qu’on n’a plus de ressources. C’est un accaparement. L’environnement, c’est une thématique importante pour moi. Le rapport du Giec est tombé, il est alarmant, on tue la biodiversité, on utilise de l’eau potable pour aller aux toilettes alors qu’on n’en a plus… C’est indécent. Mon remède, c’est d’agir. C’est hyper beau de voir des milliers de personnes mobilisées, ça redonne espoir. Je finis mes études en sociologie économique à Dauphine. Cela montre qu’on est de partout, pas juste des gauchos».
(1) Les prénoms ont été modifiés.