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Agriculture

Pourquoi la France reste accro au glyphosate

Si les agriculteurs bios et certains maraîchers et arboriculteurs parviennent à se sevrer, la molécule reste l’herbicide le plus utilisé en France. En premier lieu par les tenants de l’agriculture de conservation des sols.
A Saint-Rogatien, en Charente-Maritime, le 12 avril 2023. (Théophile Trossat/Libération)
publié le 16 novembre 2023 à 7h22

Réduire, sans s’en passer complètement au vu des «impasses techniques». La sortie du glyphosate promise par Emmanuel Macron en 2017 n’étant désormais plus qu’un lointain souvenir, la position du gouvernement sur l’herbicide est un cas d’école du «en même temps» macroniste. D’après le ministère de l’Agriculture et une partie de la profession agricole, beaucoup d’efforts ont déjà été faits pour amoindrir la dépendance à une molécule sur le marché depuis 1973. Preuve en est, selon des données provisoires, les ventes de glyphosate dans l’Hexagone ont chuté de 27 % en 2022 par rapport à la moyenne 2018-2020, avec un peu moins de 6 000 tonnes écoulées dans l’année. Cette baisse résulte en fait de la restriction des usages en vigueur depuis le 1er janvier 2022. Surtout, ce niveau, équivalent à celui de 2009, cache une augmentation constante des ventes du pesticide de 2010 à 2020, ce qui en fait l’herbicide le plus utilisé en France.

«La molécule est à l’agriculture traditionnelle ce que la voiture est à notre société»

Comment en est-on arrivé là ? «Quand la molécule est tombée dans le domaine public en 2000, elle est devenue peu chère et attractive», explique Xavier Reboud, directeur de recherches à l’Institut national de recherches pour l’agriculture et l’environnement (Inrae) et coordinateur d’une série de rapports sur les alternatives à ce produit. «Si le glyphosate n’était utilisé que là où il est nécessaire, pour gérer les adventices [mauvaises herbes ndlr], on n’en aurait jamais entendu parler. Le problème, c’est sa généralisation du fait de l’apparition de génériques. Son coût d’utilisation est passé de 300 euros environ (en euros constants) l’hectare en 1973, à 7 euros l’hectare aujourd’hui», appuie Christian Huyghe, directeur scientifique du pôle agriculture à l’Inrae.

En parallèle, les exploitations se sont agrandies, et traiter leurs parcelles avec ce produit permet aux cultivateurs de gagner du temps et de l’argent. «Ils ont fait l’hypothèse que le glyphosate existerait toujours et ont adopté des pratiques qui renforcent la nécessité de l’utiliser, analyse Xavier Reboud. La molécule est à l’agriculture traditionnelle ce que la voiture est à notre société. On sait qu’il faudrait s’en passer, mais cela changerait tellement de choses en profondeur qu’on n’a pas fait les efforts pour.» Le sevrage est envisageable sur de toutes petites surfaces, pour le maraîchage, en utilisant des bâches ou du paillage. Certains arboriculteurs ou viticulteurs tolèrent désormais un «enherbement choisi», poursuit le chercheur, mais «sur certaines zones très caillouteuses ou pentues, où le labour n’est pas possible, on a encore besoin de glyphosate.»

«On mise sur une agriculture pointue»

Utilisé dans les vignes, les vergers, les prairies, ou dans les champs avant les semis ou juste après les récoltes, le glyphosate a le même rôle que le labour, qui retourne le sol en profondeur pour y enfouir les mauvaises herbes. Sauf que le labour a, lui aussi, ses détracteurs. Parmi eux, les tenants de l’agriculture de conservation des sols (ACS), qui s’engagent à le couvrir en permanence de végétation. «On a plus d’activité biologique, de biodiversité, et le fait que la terre ne soit pas à nu lutte contre l’érosion», vante Benoît Lavier, administrateur de l’Association pour la promotion d’une agriculture durable, vitrine promotionnelle de l’ACS. Mais pour réaliser les semis dans ce couvert végétal, celui-ci doit être détruit grâce à… du glyphosate. C’est le maintien de cette pratique que défend le ministre de l’Agriculture.

Pourtant, certains professionnels font aujourd’hui de «l’agriculture bio de conservation des sols». «Plutôt qu’un travail intensif et systématique, on mise sur une agriculture pointue, avec un labour tous les quatre ou sept ans au lieu de tous les ans, qui va moins en profondeur», observe l’agronome Thomas Quenier. Lui réfute l’argument des «impasses techniques» et interroge : «Est-ce qu’on met vraiment les moyens sur la recherche d’alternatives ?»