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Libération
Reportage

Près de Nantes, les permanences «anti-tracas» pour les agriculteurs peinent à faire recette

Les agriculteurs en colèredossier
Déployées par le gouvernement après la crise agricole qui a explosé début 2024, ces permanences sont censées offrir un guichet unique aux exploitants pour ensuite mieux les rediriger vers les services concernés.
Action des Jeunes Agriculteurs et de la FNSEA le 23 février devant le château des ducs de Bretagne, à Nantes, la veille de l'ouverture du Salon de l'agriculture à Paris. (Estelle Ruiz/Hans Lucas. AFP)
publié le 21 mars 2024 à 16h40

Grosse colère ce mercredi 20 mars au matin, dans les locaux de France Services à Vallet, bourg rural du vignoble nantais. Olivier Suteau, épais bonhomme «éleveur engraisseur» de bovins à Barbechat, en Loire-Atlantique, vide son sac, sa voix résonnant dans le bureau de l’administration. «Ma grande gueule ne leur plaît pas, c’est sûr. Dans ma commune, je suis devenu le mouton noir. J’en ai marre de cette justice pourrie, des maires qui ont tous les pouvoirs.» Son histoire, c’est celle d’un conflit foncier qui l’oppose à la ville de Divatte-sur-Loire (à laquelle est rattachée Barbechat), où il est installé et qui dure depuis une dizaine d’années.

Tout a commencé par des sentiers de randonnée que la municipalité entend faire passer sur des chemins que l’agriculteur considère comme siens, car situés sur son exploitation, un GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun) de 270 hectares. Depuis, l’affaire est devenue une obsession, un conflit ouvert entre le chasseur – «mon plus grand défaut à leurs yeux» – et la mairie sans étiquette. Olivier Suteau a contesté les arrêtés. Il a perdu toutes les procédures, faute de document reconnu prouvant sa propriété, du tribunal administratif jusqu’au Conseil d’Etat. Sans compter ses nombreuses lettres envoyées aux différents ministères, au sénateur ou au député de sa circonscription.

«Votre affaire est déjà connue»

Ce mercredi matin, il se présente donc à l’une des permanences organisées par les préfectures depuis début mars, en réponse à la crise agricole qui a explosé début 2024. L’idée est de proposer un guichet unique où accueillir les agriculteurs en difficulté, les écouter et les orienter vers le service adéquat selon leur problématique : la MSA (la sécurité sociale des agriculteurs), la Dreal (la direction régionale de l’environnement), les banques ou les assurances. Dans le département de la Loire-Atlantique, elles sont quatre réparties sur le territoire tout au long de la semaine et tenues par deux agents, l’un de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et l’autre des finances publiques (DDFIP).

Ce matin, face à la complexité du dossier, les deux fonctionnaires écoutent et prennent des notes, avant de soupirer : «Votre affaire est déjà connue de nos services. On ne peut pas faire grand-chose.» Si le dossier paraît particulièrement tendu, les conflits de voisinage ou fonciers sont ici récurrents. Que ce soit lors d’épandages qui inquiètent les riverains, de distances réglementaires jugées trop compliquées à respecter par les agriculteurs, ou de problèmes liés à leur contrat de fermage.

«Nous rencontrons deux types de demandes, résume Claude Guillaume, de la direction régionale des Finances publiques, un des intervenants réguliers. Des problèmes financiers pour moitié et des problèmes d’application de la réglementation, liés aux normes environnementales, au foncier ou à la complexité administrative. […] Sur l’aspect financier, on peut leur proposer de revoir leurs échéances ou de rééchelonner leurs dettes quand c’est possible.»

Difficile pourtant de tirer un premier bilan de l’initiative. «C’est surtout une séance de doléances, un premier pas», confie Olivier Suteau après la séance. Si l’agriculteur syndiqué à la FNSEA se dit plutôt satisfait du service, il relativise : «Il faut attendre pour voir ce que ça donne. C’est du cas par cas. On sait bien que rien ne sera réglé tout de suite.»

Reliquat de PAC

Pourtant, malgré la bonne volonté de leurs intervenants, ces permanences peinent à accueillir du monde. En Loire-Atlantique, un département qui accueille environ 4 300 exploitations, en l’espace de deux semaines et pas moins de seize permanences, 26 personnes ont été reçues. «Ce n’est pas forcément facile de venir ici, poursuit l’agriculteur. Il faut se déplacer, venir parler de ses difficultés financières.» La permanence de Vallet est la plus active de Loire-Atlantique. Les aléas climatiques des années précédentes l’expliquent. «Ici, les agriculteurs peinent à trouver une assurance ou à transmettre leur exploitation», confirme Gaëtan Meteier, le représentant de la DRFIP présent ce mercredi.

Le jour d’avant, dans le bâtiment de la sous-préfecture de Châteaubriant, personne n’était venu. Sauf un agriculteur à la retraite débarqué par hasard cinq minutes avant la fin pour un reliquat de PAC qu’il ne parvenait pas à percevoir. Un problème de RIB pris en charge par les deux agents. «Ce n’est pas grand-chose, 300 euros et quelques, s’excuse presque l’ancien agriculteur, un peu surpris de l’accueil. Et moi qui tombe en pleine révolte des agriculteurs à cause de tracasseries administratives !»