Prolongement de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne (UE) ou pas ? Le suspense continue. Vendredi 13 octobre, l’abstention de la France lors du vote des représentants des Etats sur la proposition de la Commission de Bruxelles de reconduire pour dix ans l’homologation de ce pesticide dans l’UE a mené à une absence de majorité qualifiée en faveur du texte, c’est-à-dire à une «absence d’avis». Ce qui veut dire qu’un autre scrutin devra être organisé, courant novembre. Et si, lors de ce nouveau vote en comité d’appel, il n’y a toujours pas de majorité suffisante, la Commission pourra décider seule de prolonger le feu vert au glyphosate qui court jusqu’au 15 décembre, car seule une majorité qualifiée d’Etats (15 des 27 membres de l’UE représentant au moins 65 % de la population) opposés au texte peut le bloquer.
Bref, la présence dans nos champs de l’herbicide le plus utilisé au monde (notamment dans le Roundup de Monsanto-Bayer) n’est sans doute pas près de s’arrêter. Grâce, notamment, aux controverses scientifiques qui entourent cette substance : classée «cancérogène probable» par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle n’inquiète pas outre mesure l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l’Agence européenne des produits chimiques (Echa).
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Si elle permet de ne pas réautoriser dès aujourd’hui ce pesticide pour dix ans, l’abstention de la France constitue tout de même un recul. En 2017, lors d’un vote similaire au sujet d’une proposition de renouvellement de l’autorisation pour cinq ans, la France avait voté contre, en vain. A la suite de cela, Emmanuel Macron avait promis d’interdire l’utilisation du glyphosate «en France dès que des alternatives aur [aie] nt été trouvées, et au plus tard dans trois ans». La position exprimée ce vendredi par la France permet à tout le moins de clarifier le flou qui persistait depuis cet engagement non tenu. Désormais, c’est clair et net : non, le gouvernement n’est pas opposé au glyphosate. Sinon, il aurait voté contre la proposition de la Commission.
«Très clairement, la France n’est pas opposée à la molécule glyphosate en tant que telle, mais elle estime que nous devons restreindre les usages quand il existe des alternatives et que le texte européen doit prendre en compte notamment l’expérience française en la matière pour réduire l’usage du glyphosate», avance le ministère de l’Agriculture pour justifier l’abstention. Et d’indiquer que depuis 2017, la France a «réduit de 27 % l’utilisation du glyphosate sans placer aucun agriculteur sans solution, par des interdictions ciblées et un accompagnement des agriculteurs».
En France, «nous avons interdit de nombreux usages du glyphosate : par exemple, pour les particuliers, dans les cimetières, sur les voies SNCF ou en inter-rangs dans les vignes, a aussi insisté le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Avec Marc Fesneau [son collègue en charge de l’Agriculture, ndlr], notre souhait est de ne laisser aucun agriculteur sans solution. Pour cela, avec le prochain plan Ecophyto [qui devrait être présenté dans les prochaines semaines, ndlr], nous travaillons à la recherche d’alternatives et à de nouvelles pratiques agricoles pour réduire l’usage des pesticides et des herbicides». A voir. Pour l’heure, le pays n’a pas engagé de véritable changement de modèle agricole, pour travailler avec la nature plutôt que contre elle, éviter la monoculture, favoriser les rotations, pratiquer le désherbage mécanique…
Member States did not reach necessary majority to approve (or reject) Commission proposal to renew glyphosate. Commission proposal will now be submitted to Appeal Committee first half of November. More on: https://t.co/Wy5tRQtoUg https://t.co/o3z05OkUBc
— Stefan De Keersmaecker (@SKeersmaecker) October 13, 2023
La France «peut encore faire preuve d’ambition et se prononcer contre le renouvellement lors du deuxième vote annoncé pour la mi-novembre, demande la Confédération paysanne dans un communiqué de presse. On a bien vu que l’absence de date butoir empêche le déploiement et la généralisation des alternatives, alors que des alternatives existent déjà pour certains usages et pratiques culturales !». Pour le syndicat agricole minoritaire, le glyphosate est «le symbole du développement de l’agriculture industrielle et de l’élimination des paysans et paysannes. En effet, son utilisation massive a simplifié les parcours culturaux, favorisé l’agrandissement des exploitations agricoles et ainsi fait disparaître les petites fermes». De sorte que, dit-il, sa prolongation pour dix ans serait «une erreur monumentale» permettant de «repousser toujours plus loin les changements dans les exploitations agricoles», alors même que «les paysans et paysannes sont les premières victimes des pesticides, béquilles chimiques et économiques». La Confédération paysanne prône plutôt «la nécessité urgente de soutiens économiques au développement de pratiques affranchies de ce pesticide et plus généralement de toutes les substances dangereuses».
De son côté aussi, si l’ONG Générations futures «se réjouit» du résultat de vendredi reportant le vote à Bruxelles, elle estime que «maintenant, les pays européens, au premier rang desquels la France, doivent comprendre que le fond de la question n’est pas de savoir si l’on va réautoriser le glyphosate pour dix, sept ou cinq ans de plus, mais bien de réaliser que le glyphosate ne peut tout simplement pas être réautorisé du tout». Et d’insister sur le fait que l’herbicide «pose de nombreux problèmes pour la santé et l’environnement». L’ONG rappelle qu’outre le classement comme cancérogène probable pour l’homme par l’OMS, «l’Inserm (la recherche médicale publique française !) souligne que le glyphosate est génotoxique, perturbateur endocrinien, neurotoxique et qu’il a des effets toxiques sur le microbiote et les mitochondries». Elle insiste aussi sur le fait que «les évaluations des effets sur la biodiversité et les écosystèmes n’ont pas pu être réalisés correctement». Ce que le ministère de l’Agriculture confirme d’ailleurs : «Nous manquons de données sur l’impact du glyphosate sur la biodiversité, donc il faut que les recherches se poursuivent.»