Menu
Libération
Pollution

Réautorisation du glyphosate : six ONG lancent la bataille contre Bruxelles

Au moment où la FNSEA réclame l’arrêt du plan de réduction des pesticides en France, des associations environnementales contestent auprès de la Commission européenne sa décision de reconduire pour dix ans l’herbicide controversé.
Manifestation contre le glyphosate, à Rennes le 12 octobre 2023. (Damien Meyer/AFP)
publié le 25 janvier 2024 à 15h56

Télescopage d’intérêts contraires en pleine crise agricole. Alors que la FNSEA et le syndicat des Jeunes Agriculteurs ont demandé au gouvernement, mercredi soir, le rejet du plan Ecophyto (qui vise à réduire de moitié l’usage des pesticides sur le sol français d’ici à 2030, par rapport à 2015-2017), six associations reviennent à la charge contre la Commission européenne et l’utilisation du glyphosate. Les ONG Générations Futures, ClientEarth, Global 2000, Pesticide Action Network Europe (PAN) et ses antennes allemandes et néerlandaises, viennent de déposer une «demande de réexamen interne» auprès de l’institution au sujet du renouvellement de l’autorisation du célèbre désherbant. Classé «cancérogène probable» par l’Organisation mondiale de la santé en 2015, ce dernier été réapprouvé en novembre par Bruxelles pour une période courant jusqu’à fin 2033. Il est l’herbicide le plus utilisé dans le monde, France incluse.

«La priorité doit être donnée à la santé et l’environnement, et il n’y a plus aucun doute possible sur le fait que le glyphosate représente un danger», expose Martin Dermine, le directeur de PAN Europe. «En 2017 déjà, lors de la réautorisation précédente du pesticide, nous avions identifié des failles dans l’évaluation de la substance, mais à l’époque le règlement Aarhus [ndlr : texte donnant la possibilité d’engager des procédures de recours contre certaines décisions de l’Union européenne] ne nous permettait pas de contester ce dossier», complète la juriste Anaïs Berthier, directrice du bureau européen de ClientEarth. La modification de ce règlement en 2021 a changé la donne. Dans leur recours, déposé mercredi 24 janvier, les ONG reprochent à la Commission européenne d’avoir agi «à l’encontre du principe de précaution, malgré les preuves selon lesquelles [le glyphosate] peut nuire aux humains, aux animaux et à l’environnement».

«Le processus d’approbation a ignoré des études montrant un risque élevé de cancer»

Formellement, les associations reprochent à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), les deux agences réglementaires de l’Union européenne ayant donné chacune leur feu vert à une prolongation de l’herbicide, d’avoir écarté «systématiquement les études non fournies par l’industrie». Et de préciser que les travaux conduits par les fabricants auraient été fournis trop «tardivement» et de manière «incomplète» dans plusieurs domaines de l’évaluation des risques. «Le processus d’approbation a ignoré des études montrant un risque élevé de cancer, un taux de mortalité alarmant parmi les insectes, et des impacts majeurs sur le cerveau résultant de l’utilisation du glyphosate», assènent les ONG.

Dans une analyse rendue publique en novembre, l’association française Générations futures avait montré que plus de 99 % de la littérature savante publiée au cours de la dernière décennie sur la toxicité du glyphosate «avaient été exclus» du rapport préliminaire ayant été envoyé par des Etats membres aux deux agences réglementaires. Selon l’ONG, seulement 30 études académiques (sur quelque 7 000) auraient été «prises en compte par les évaluateurs européens».

«Ces produits sont nocifs pour tous»

«Nous demandons à la Commission européenne de retirer le glyphosate du marché car nous estimons que son évaluation présente des énormes trous dans la raquette et qu’il est de son devoir de protéger les Européens, insiste son porte-parole, François Veillerette. Pendant ce temps-là en France, la FNSEA exige du gouvernement de faire sauter tout objectif de réduction des pesticides et de faire du monde de demain le monde d’avant-hier. C’est inacceptable. Ces produits sont nocifs pour tous.»

La Commission européenne dispose désormais de vingt-deux semaines, jusqu’à fin juin maximum, pour répondre à la demande de réexamen interne. Si les six associations jugent la réponse de Bruxelles insatisfaisante au regard du «droit communautaire de l’environnement», elles pourraient saisir la Cour de justice de l’Union européenne. «Il est peu probable que la Commission remette en question sa propre décision et le travail de ses agences réglementaires. Ce serait pour elle comme ouvrir la boîte de Pandore, commente Martin Dermine, de PAN Europe. Mais si elle ne le fait, effectivement, nous n’en resterons pas là.»