Bilan du week-end de mobilisation contre les bassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) : des blessés des deux côtés, et un ton qui se durcit côté gouvernement, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, martelant qu’il ne «[veut] pas d’une ZAD», et annonçant qu’il laisse 1 000 gendarmes sur place pour faire face à ce que la préfecture a présenté comme «400 habitués des black blocs». La mobilisation, interdite par les autorités mais qui a réuni au moins 5 000 personnes samedi, a toutefois atteint deux de ses objectifs : pénétrer sur le site de la bassine et sectionner une portion du tuyau d’irrigation de celle-ci. Les manifestants annoncent 50 blessés, dont 5 hospitalisations (2 pour avoir reçu des tirs de LBD dans la tête), et au moins 15 plaies ouvertes. Un bilan qui faisait écho, dans les têtes, à l’anniversaire des confrontations du barrage de Sivens, où le militant Rémi Fraisse avait été tué par un tir de grenade le 26 octobre 2014.
Image symbolique : Lisa Belluco, députée EELV de la première circonscription de la Vienne, s’avançant vers les forces de l’ordre, mains levées en signe de non-agression, son écharpe tricolore d’élue de la République clairement visible. «Je leur ai demandé de me laisser passer. Ils n’ont pas répondu, m’ont bousculée et m’ont donné plusieurs coups de matraque dans les jambes, raconte l’élue. Le député Loïc Prud’homme [LFI, ndlr] m’a aidée à me relever alors qu’ils commençaient à nous tirer des grenades lacrymogènes dessus.» La députée marchait à ce moment dans l’un des trois cortèges, celui composé en partie de «personnes âgées et de familles». Lisa Belluco affirme : «Je n’ai jamais vu un tel dispositif. On avait une armée en face de nous, on a l’impression que le gouvernement a commencé une guerre de l’eau nationale.»
«Pluie de lacrymos, de grenades»
Adrien (1), qui répond depuis l’hôpital où il est gardé en observation après avoir reçu un tir de LBD dans la tempe, rembobine : «J’étais en tête de cortège, je tenais la banderole. Je n’étais donc pas dans un groupe de contact. On s’approchait d’eux [des gendarmes mobiles, ndlr], et je pense qu’ils ont paniqué. Il y a eu une pluie de lacrymos, des grenades de désencerclement et des tirs de LBD.» Touché, il tombe à terre ; des street medics le prennent en charge et appellent les pompiers. «Ce sont les gendarmes qui sont venus. Ils ont commencé par faire un contrôle d’identité de tout le monde. Puis les pompiers sont arrivés et m’ont emmené dans le poste médical avancé. Il y avait des blessés qui arrivaient régulièrement. Les gendarmes faisaient les procès-verbaux pendant qu’on recevait les soins, demandaient où on avait été récupérés, sans aucun respect du secret médical.»
Adrien raconte avoir été placé en garde à vue et transféré à la gendarmerie. Là, il fait valoir son droit de consulter un médecin, qui le transfère à l’hôpital. L’hématome qui se développe au niveau de la tempe pourrait lui valoir une opération chirurgicale dans les prochains jours. «Les gendarmes sont revenus pour me ramener en garde à vue, mais l’hôpital a déclaré qu’au vu de mon état, je devais rester en observation», poursuit Adrien.
«Chocolatine party»
Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci et figure centrale de la lutte, a quant à lui brièvement perdu connaissance après avoir reçu un coup de matraque alors qu’il avait pénétré sur le site de la bassine. La plaie a nécessité six points de suture. S’il affirme «ne pas souhaiter la confrontation», il estime que la manifestation était légitime puisque «le gouvernement refuse le dialogue, ne veut pas du moratoire sur les bassines que nous réclamons, comme bon nombre d’élus». Il s’agace des chiffres donnés par la préfecture (61 gendarmes blessés, dont 22 sérieusement) : «Nous, on annonce 50 blessés parce que ce sont des personnes qui sont passées entre les mains de l’équipe de médecins, mais dans le cortège, on en a vu d’autres qui boitaient, qui se sont soignés tout seuls, etc. Les gendarmes annoncent 22 blessés “sérieux”, et aucune hospitalisation. A quoi ça correspond, “sérieux” ?». Interrogée à ce sujet, la préfecture n’a, pour l’heure, pas donné suite à notre demande. Comme l’expliquait Libération, le ministère de l’Intérieur a ces dernières années multiplié les stratégies pour gonfler le nombre de blessures déclarées côté forces de l’ordre.
Julien Le Guet préfère retenir deux choses. D’abord, «on a coupé le bras de la pieuvre» : les manifestants ont déterré une des portions des 18 kilomètres de tuyaux qui devaient permettre l’irrigation des champs à partir de la bassine. Ensuite, Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, a déclaré sur France Inter que les opposants «dénoncent quelque chose de juste». Un début de remise en question ? Les manifestants entendent à présent maintenir un campement sur le champ qui leur a été prêté à proximité de la bassine – plusieurs centaines demeurent sur place –, et ont invité les ouvriers qui doivent reprendre les travaux mercredi matin à une «chocolatine party» pour discuter des effets de ces réserves de substitution, avec l’espoir que maintenant que les engins de chantier ont été retirés du site, ils n’y reviendront plus.
(1) Le prénom a été modifié.