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Libération
Représailles commerciales

Trump menace de taxer à 200 % les vins et spiritueux  : pour les vignerons, une quasi-mesure «d’embargo»

Les viticulteurs français s’inquiètent de la menace de Donald Trump, en représailles à une hausse des droits de douane sur plusieurs produits américains. Ils reprochent à la Commission européenne de ne pas les défendre.
Chez un négociant en vins, jeudi 13 mars 2025 à Ville d'Avray, en banlieue pariseinne. (Christophe Ena/AP)
publié le 13 mars 2025 à 19h41

Leur première réaction est la colère. Même si la menace est tellement énorme que nul ne sait si elle sera vraiment appliquée, elle inquiète la filière viticole. Ce jeudi 13 mars, Donald Trump a encore une fois sorti la carte de la surenchère sur la question des droits de douane. En représailles aux taxes de 25 % sur l’acier et l’aluminium mises en place par l’administration états-unienne, la Commission européenne a annoncé qu’une série de produits américains allait aussi être taxée : notamment les motos, les bateaux et le bourbon qui se retrouverait, lui, avec des droits de 50 %. Le président des Etats-Unis a donc fait fois quatre, et menacé de taxer à 200 % tous les vins et spiritueux européens… Ce qui serait un coup de massue pour la filière, ultra-dépendante du marché américain. Le pays est, en effet, le premier client de la France pour les vins et spiritueux en valeur (18 %) et le deuxième derrière l’Allemagne en volume (12 %) selon France Agrimer. Donald Trump tape là où ça fait mal, puisque l’alcool représente carrément deux tiers du total des exportations françaises vers son pays, soit 3,9 milliards d’euros en 2024.

Le cognac, déjà en difficulté à cause de taxes chinoises (appliquées là aussi en représailles de droits de douane sur les voitures électriques) mais également de la baisse de la consommation en France et du dérèglement climatique, s’inquiète particulièrement. Selon le bureau national de l’interprofession du cognac (Bnic), 97 % de la production est exportée, dont 50 % aux Etats-Unis. Dans un communiqué transmis à Libé, la filière s’en prend aux autorités européennes et françaises, disant les avoir alertées «depuis plusieurs semaines» que des mesures de rétorsion sur le whisky les «mettaient en très grand danger». «La réponse américaine a malheureusement correspondu à nos craintes et, si elle est confirmée, elle pourrait être plus dure encore que redouté», écrit le Bnic. L’association professionnelle fait part de sa «détresse» et rappelle que le «secteur, qui génère 70 000 emplois en France, fait vivre 250 entreprises de négoce et 4 400 viticulteurs et leurs familles, ne comprend pas ces arbitrages et n’accepte pas d’être […] sacrifié du fait de décisions politiques européennes qui ne le concernent pas.»

«Une cible dans le dos»

Même inquiétude parmi les indépendants. «Sur les 4 600 vignerons français qui exportent aux Etats-Unis, 3 600 sont des vignerons indépendants, donc le marché est très important», expose leur président, Jean-Marie Fabre, établi à Fitou (Aude), qui dit toutefois rester «prudent» puisqu’il a bien conscience que «le président américain est avant tout un businessman qui opère la stratégie du rapport de force.» «On s’attendait à une réponse plus maline de l’Europe, qui aurait dû opérer de la même manière que les Etats-Unis et taxer tous les produits, et pas cibler seulement quelques produits en montant à 50 % sur le whisky, s’agace-t-il. En faisant ça, ils ont mis une cible dans le dos des vins et spiritueux européens, [les autorités européennes] ont pris un risque inacceptable.» Pour le vigneron, des droits de douane à 200 % équivaudraient à une quasi-mesure «d’embargo». «Une bouteille française à 10 euros dans les rayons français, coûte déjà 20 dollars aux Etats-Unis. Si demain elle en coûte 60, même si c’est votre vin fétiche, vous ne l’achèterez plus», s’agace-t-il.

«Je viens d’entendre ça à la radio, et je suis très inquiet», réagit Thierry Mothe, viticulteur dans le chablis qui exporte 30 % de sa production aux Etats-Unis. «Si on est taxés à 200 %, on ne sera plus compétitifs par rapport à nos concurrents, donc il faut que je trouve des marchés pour placer 120 000 bouteilles, soit sur d’autres pays d’exportation soit sur le marché national mais on ne peut pas faire ça en un claquement de doigts», s’alarme le viticulteur. Il y a quelques semaines, quand la filière agroalimentaire était déjà dans l’inconnu face aux possibles mesures douanières prises par les Etats-Unis, Thierry Pouch, chef économiste à Chambres d’agriculture France, expliquait à Libé que les entreprises pourraient réagir «en comprimant leurs marges, trouvant de nouveaux marchés ou en répercutant le prix sur le consommateur. La capacité des entreprises à encaisser va beaucoup dépendre de leur taille.» «Quelques opérateurs ont envoyé plus de produits ces dernières semaines [pour échapper aux droits de douane à venir, ndlr], mais le stockage coûte de l’argent. Tout est tellement imprévisible, il n’y a pas grand-chose à faire en attendant [les annonces]», expliquait alors Nicolas Ozanam, le délégué général de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France (FEVS). A l’AFP ce jeudi, il a indiqué que la filière était partagée entre «stupéfaction, consternation et sentiment d’urgence pour trouver une solution».

«Des mesures arbitraires et contraires au droit international»

En 2018, sous le premier mandat de Trump, le président américain avait déjà ordonné une hausse des droits de douane de 25 % pour le secteur, en représailles au conflit qui opposait Boeing et Airbus. Mais cela ne concernait que les vins en bouteille. «On avait trouvé une parade puisque tout produit dans un contenant supérieur à 3 litres n’était pas taxé, relate Thierry Mothe. On avait exporté en vrac et c’était mis en bouteille aux Etats-Unis, donc on n’avait pratiquement pas perdu de parts de marché. Là, ça risque de ne pas du tout être la même configuration.»

Rappelant que «la France et l’Union européenne ne souhaitent pas une guerre commerciale avec les Etats-Unis, telle que le président Trump en a pris l’initiative», la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a répondu dans un message à la presse qu’elles «réagiront toutefois fermement pour sauvegarder les intérêts de leurs entreprises, face à des mesures arbitraires et contraires au droit international». Les contre-mesures de l’UE «ont vocation à servir de base à la négociation qui va s’ouvrir», a-t-elle rappelé. «La France reste déterminée à riposter, a réagi le ministre du Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin. Nous ne céderons pas aux menaces et protégerons toujours nos filières.»