Cinq jours après sa mort, les obsèques de Pierre Alessandri auront lieu ce samedi 22 mars à Bocognano. Ce syndicaliste agricole, qualifié de «lanceur d’alerte», a été tué lundi soir dans son exploitation agricole en Corse. L’homme de 55 ans était secrétaire général de la Via Campagnola, liée à la Confédération paysanne. Une enquête a été ouverte pour «assassinat», et le procureur d’Ajaccio a déclaré mardi que «plusieurs pistes sont exploitées […] pour déterminer le mobile de [cet] acte criminel qui a manifestement fait l’objet d’actes préparatoires». «Les investigations se poursuivent avec célérité», a indiqué vendredi le procureur à Libération, précisant que deux coups de feu mortels ont été tirés.
Si à ce stade, aucun lien ne peut être établi entre son assassinat et ses positions syndicales, la Confédération paysanne et l’association de lutte contre la corruption Anticor ont rappelé que Pierre Alessandri était connu en Corse pour son combat contre la fraude aux aides de la politique agricole commune (PAC) et pour la préservation du foncier agricole. En 2019, un incendie criminel non élucidé avait détruit un hangar dans son exploitation. Si l’enquête s’était soldée par un non-lieu, le procureur de l’époque avait évoqué l’hypothèse «d’une réaction violente liée aux positions syndicales de Pierre Alessandri».
«Courage de lanceurs d’alerte»
«Nous sommes dans l’incompréhension et la colère. Les paysan·nes et responsables syndicaux ne peuvent être ainsi pris pour cible», a déclaré la Confédération paysanne dans un communiqué. «Combattre pour l’intérêt général ne devrait pas coûter la vie aux lanceurs d’alerte. […] Cette tragédie s’inscrit dans un climat de pratiques mafieuses et corruptives qui gangrènent le territoire corse et mettent à mal l’Etat de droit», a dénoncé Anticor, qui avait alerté dès 2016 sur une possible affaire de détournement des aides de la PAC en Corse. «Ces faits potentiels, d’une extrême gravité, ont pu être mis en lumière grâce au courage de lanceurs d’alerte, parmi lesquels Pierre Alessandri», rappelle l’association anticorruption. Dans cette affaire, trois hauts fonctionnaires ont été renvoyés en correctionnelle et seront jugés prochainement à Paris : deux pour «détournement de fonds publics» et un troisième pour «complicité». Selon l’accusation, le montant d’aides illégalement versées pourrait être «compris entre 370 000 euros et 1,2 million d’euros», précise l’AFP.
Interview
Mediapart, qui avait enquêté sur le scandale des fraudes aux aides agricoles, rappelle que lors d’un débat sur France 3 Corse ViaStella suivant la diffusion d’un documentaire sur le sujet en mars 2019, Pierre Alessandri avait dénoncé «le système clientéliste et clanique qui prévaut dans l’attribution des aides agricoles». Toujours selon le site, il avait également déclaré lors du lancement d’un collectif antimafia en septembre 2019 : «Le monde agricole est gangrené par la mafia.» Depuis, Pierre Alessandri s’était fait discret. «C’était un choix collectif de la Via Campagnola, qui avait fait le choix de moins l’exposer médiatiquement. Mais il n’avait pas changé d’idées», explique à Libération la porte-parole de la Confédération paysanne, Laurence Marandola.
«Silence» incompréhensible
La Corse fait partie des trois chambres d’agriculture remportées en janvier par la Confédération paysanne aux élections professionnelles. Le nouveau président de l’instance insulaire, Jean-Baptiste Arena, a rendu hommage mercredi soir, lors de la session d’installation du nouveau bureau des chambres d’agriculture au niveau national, à Pierre Alessandri, qui «a payé du fait de son engagement». Si la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a déclaré sur X que «[ses] pensées les plus émues vont à sa famille, ses proches et ses compagnons syndicaux, dont [elle] n’ose mesurer la peine qui les envahit. La violence, le recours aux armes, n’ont pas leur place dans notre pays», la Confédération paysanne s’indigne de l’absence de réaction d’autres membres du gouvernement et des autres instances syndicales. «On est face à l’assassinat d’un responsable syndical en activité, et on n’a aucune réaction publique. Je ne comprends pas ce silence», dénonce Laurence Marandola.
Le parti autonomiste Femu a Corsica, du président du conseil exécutif Gilles Simeoni, a rendu hommage mardi sur X à un «homme honnête, patriote enraciné dans sa terre, travailleur de tous les instants, militant sincère du syndicalisme étudiant puis agricole». Pour Léo Battesti, membre fondateur du collectif antimafia Maffia no, a vita iè, «c’est un symbole d’intégrité et du militantisme agricole vertueux qui a été abattu» et «un coup dur porté à la Corse de la créativité et du travail par ceux qui, par la terreur, veulent la dominer», a-t-il écrit sur X.