L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) monte d’un cran sa vigilance sur les pyréthrinoïdes, une famille d’insecticides. L’instance nationale sonne «l’alerte», ce jeudi 24 avril, sur ces produits utilisés contre les puces, les tiques, les poux, les moustiques et autres hexapodes, dans les champs et les foyers. Des experts se sont penchés pendant plus de trois ans sur de possibles liens entre des maladies chez l’homme et l’exposition à ces substances chimiques, en analysant les principales et plus récentes études scientifiques sur le sujet, et les conclusions sont formelles : certaines préoccupations sont «importantes et croissantes». Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle «sciences pour l’expertise» à l’Anses, rembobine le fil ayant conduit à cette alerte et plaide pour un usage plus raisonné de ces molécules.
Quels sont les «signaux forts» qui ont poussé l’Anses à exprimer des préoccupations concernant les pyréthrinoïdes ?
Cette vigilance est le fruit d’un examen approfondi des principaux travaux scientifiques effectués ces dernières années sur cette famille de substances. Une expertise collective de l’Inserm, mise à jour en 2021, a joué un rôle clé. Les chercheurs français ont mené un travail colossal en épluchant toute la littérature internationale relative aux liens entre l’exposition aux pesticides et diverses pathologies humaines. Leur analyse a mis en évidence des présomptions plus ou moins fortes entre les pyréthrinoïdes et certains effets sur la santé, ce qui a attiré notre attention.
Nous avons également regardé de très près l’étude Esteban, réalisée par Santé publique France et publiée la même année. Elle fait ressortir des niveaux d’imprégnation significatifs dans la population en France, plus importante d’ailleurs chez les enfants que les adultes, et cela a renforcé nos préoccupations. Et puis s’est ajoutée dans notre corpus, en 2022, une recherche épidémiologique majeure conduite par une équipe chinoise.
Qu’est-il possible de dire sur les effets sanitaires liés à l’exposition aux pyréthrinoïdes ?
Les signaux sanitaires les plus marquants portent sur les troubles du comportement dits «internalisés» — comme l’anxiété ou le repli sur soi — observés chez de jeunes enfants dont les mères ont été exposées aux pyréthrinoïdes pendant la grossesse. Des effets sur la fertilité, en particulier des atteintes spermatiques, ont également été mis en évidence dans la population générale, bien que les données disponibles présentent un niveau de présomption plus modéré. Par ailleurs, la deltaméthrine, une substance appartenant à cette famille, est associée à un risque accru de leucémie lymphoïde chronique ou de lymphome lymphocytaire, notamment chez les personnes exposées dans un cadre professionnel. Nous ne sommes pas ici sur des effets sanitaires aigus, facilement détectables, comme les accidents cardio-vasculaires ou des hépatites. Mais ce n’est pas pour cette raison que c’est moins préoccupant. Dans l’évaluation des substances, c’est tout aussi crucial de bien prendre en compte les maladies dites chroniques, celles qui se manifestent après une exposition répétée dans la durée.
Dans quels cadres ces produits sont-ils le plus utilisés ?
Dans des cadres très variés, et c’est bien le problème, car nous ne savons pas encore identifier les sources d’expositions les plus importantes et les hiérarchiser entre elles. Les pyréthrinoïdes sont dans les champs, dans les maisons, un peu partout. On les retrouve bien évidemment dans l’agriculture en tant qu’insecticides : il existe encore une dizaine de molécules autorisées par l’Union européenne qui sont utilisées pour un usage phytosanitaire. Mais il y a également des pyréthrinoïdes dans les produits biocides, donc dans les produits antimoustiques par exemple [comme pour les antipoux, on ne parle pas ici des répulsifs cutanés, mais des sprays à appliquer sur les textiles ou des diffuseurs, ndlr], ou les produits pour faire disparaître les araignées dans chaque recoin de votre maison.
Ils sont aussi présents dans les dispositifs vétérinaires, comme dans les colliers antiparasitaires pour chiens ou les traitements contre les insectes pour les bovins. Il est primordial que nous renforcions la biosurveillance, en premier lieu auprès des populations vulnérables tels que les enfants ou les travailleurs agricoles, pour mieux comprendre l’ampleur de toutes ces expositions.
Les pyréthrinoïdes devraient-ils, selon l’Anses, tous être proscrits par l’Union européenne ?
A ce stade, notre agence sanitaire ne préconise pas une interdiction totale de tous les pyréthrinoïdes. En revanche, nous plaidons auprès de la population française pour un usage plus raisonné et limité de ces produits, quand cela est possible. Et surtout, nous demandons officiellement à l’Efsa, l’autorité européenne de sécurité des aliments chargée d’examiner les risques inhérents aux substances actives utilisés dans les produits phytopharmaceutiques, de rendre ses prochaines évaluations à la lumière de ces nouvelles données scientifiques. La deltaméthrine, qui fait donc partie de la famille des pyréthrinoïdes, doit faire l’objet d’une réévaluation de l’Efsa avant août 2026. La teflutrine, avant mai 2027. Il est indispensable que l’autorité européenne prenne en compte les derniers travaux de la recherche scientifique sur ces produits et d’adapter les décisions réglementaires en conséquence.