Bio, local, circuit court ou moins carné. Dans un contexte où la précarité alimentaire ne cesse d’augmenter, la restauration collective est vue comme un moyen de fournir une alimentation saine, tout en respectant l’environnement et la biodiversité et en assurant un revenu décent aux agriculteurs. Une fois n’est pas coutume, le sujet met d’accord les candidats à la présidentielle, qui promettent tous plus, voire 100 %, de produits bio et locaux dans les cantines. Alors que la génération des années 90 a été éduquée aux tomates en hiver servies dans des menus délégués à des entreprises privées, un changement s’amorce dans les cantines scolaires depuis quelques années.
«Juste prix pour les agriculteurs»
Pionnière en la matière, la commune de Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes, a été la première à proposer des aliments 100 % bio et locaux à ses élèves. Les légumes qui fournissent la cantine sont même produits par des maraîchers employés par la commune. Et l’initiative essaime. On ne compte plus aujourd’hui les plans alimentaires territoriaux, qui visent à produire une alimentation de meilleure qualité pour les habitants, ou les cantines exemplaires vantées par certaines communes.
Les moyens à mettre en œuvre divergent selon les candidats. A gauche, on table sur le bio, et à droite sur le local. Ainsi, chez les écolos de gauche, on promet d’emblée «une alimentation 100 % bio et locale». Le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon ajoute à la mesure «une option végétarienne quotidienne et un menu hebdomadaire végétarien» pour tous, tandis que Yannick Jadot précise que l’alimentation sera «moins carnée, de meilleure qualité, respectueuse du bien-être animal et achetée au juste prix aux agriculteurs». Le communiste Fabien Roussel, qui aime en ce moment taper sur les bobos et mise plutôt sur des repas à un euro, prévoit toutefois que ceux-ci soient réalisés «à partir de produits bio et locaux».
«Fracture alimentaire»
A droite, Valérie Pécresse, qui n’en fait pas des caisses sur l’alimentation, se fait précise sur le sujet puisqu’elle veut «rénover les règles de commande publique pour instaurer une préférence et un recours accru au local dans la restauration scolaire, hospitalière et administrative». Tandis qu’à l’extrême droite, Marine Le Pen compte «contraindre les cantines à utiliser 80 % de produits agricoles français», Eric Zemmour veut «privilégier les circuits courts dans la restauration collective» et Nicolas Dupont-Aignan se contentera «d’inciter» les collectivités «à se fournir chez des producteurs locaux et à privilégier le bio français».
Un tel consensus chez tous les candidats est assez notable. «Que le sujet intègre les programmes de façon aussi transversale, c’est une nouveauté totale», se félicite Stéphane Veyrat, le directeur de l’association Un plus bio, qui se présente comme «le premier réseau national des cantines bio». L’organisation avait bien constaté un frémissement pendant les municipales de 2014, qui s’est fait un peu plus fort en 2020, mais le sujet restait toutefois cantonné à des scrutins locaux. Pour rappel, les communes ont la responsabilité des cantines dans les crèches et les écoles. Pour les collèges, ce sont les départements, et pour les lycées, les régions. «Cela montre que [le sujet de l’alimentation] n’est plus anecdotique depuis la pandémie, qui a mis en lumière la fracture alimentaire dans la population», analyse-t-il.
Mais le consensus peut aussi être l’arbre qui cache la forêt. Trois ans après sa promulgation, le bilan de la loi Egalim permet de comprendre qu’entre les promesses et la réalité, la marche est haute. Alors que le texte prévoyait d’atteindre 50 % de produits «de qualité et durables», dont 20 % de bio au 1er janvier 2022, on en est encore loin. Selon les derniers chiffres du ministère de l’Agriculture, la restauration collective proposait 10 % de bio fin 2021. Le cabinet fait toutefois remarquer que ce taux a plus que triplé en quatre ans. Quant aux produits «sous signe de qualité» (le label rouge par exemple), leur part se situe entre 11 et 15 % toute restauration collective confondue. Dans les restaurants des administrations, gérées par l’Etat, on passe à 22 %. «A titre de comparaison, en 2009, la loi Grenelle avait déjà fixé l’objectif de 20 % de bio en restauration collective pour les services de l’Etat d’ici 2012. En 2017, le chiffre n’était que de 3,4 %», tacle-t-on au passage au ministère, contacté par Libération.
Manque d’ambition
Pour justifier ce retard, le ministère de l’Agriculture invoque la crise du Covid, qui a chamboulé les priorités des acteurs du secteur. Il vante toutefois les avancées de ces derniers mois sur le sujet, puisque la loi Climat et Résilience votée cet été ajoute dans les produits «sous signe de qualité» ceux issus de circuits courts ou équitables. Par ailleurs, depuis le 1er mars, l’étiquetage de l’origine des viandes est devenu obligatoire, en restauration collective comme dans les restaurants. Enfin, l’Etat s’engage à proposer dans ses cantines «100 % de viandes et de poissons de qualité» d’ici 2024. Certains de ces labels, comme la haute valeur environnementale, font toutefois l’objet de nombreuses critiques pour leur manque d’ambition.
Point de vigilance aussi, le recours aux ingrédients locaux, pas forcément un gage de qualité et de durabilité. «Si le local est issu d’une production intensive qui a peu d’impact bénéfique sur la biodiversité ou les ressources en eau, son intérêt est limité», insiste Stéphane Veyrat. Une viande peut ainsi être estampillée «locale» mais nourrie avec des aliments importés ou issus d’une agriculture très intensive. Le responsable insiste sur la nécessité d’accompagner les promesses de campagne de «mesures concrètes», pour que celles-ci aient une chance d’aboutir en un mandat. Selon Stéphane Veyrat, l’enjeu va au-delà «que juste faire des repas». «Il faut un accompagnement social, former les cuisiniers aux protéines végétales et aux produits bruts, bouleverser l’enseignement agricole», souligne-t-il.
Prix accessibles
Alors que le coût de telles mesures est régulièrement pointé, l’association met en avant les principaux enseignements de son Observatoire de la restauration collective bio et durable. S’appuyant sur une enquête de novembre 2021 et menée auprès de 461 collectivités, qui représentent près de 7 000 cantines, l’association conclut que le bio n’est pas plus cher. Ainsi, dans un menu composé de moins de 20 % de bio, le coût moyen des denrées (qui représente un quart du coût global d’un repas) est de 2,06 euros par repas, alors que pour un menu avec entre 20 % et 40 % de bio, il est de 2,02 euros. «Dans la mesure où le passage au bio est accompagné de mesures contre le gaspillage, de repas moins carnés et que l’on travaille davantage les produits bruts, ces repas sont à des prix accessibles», insiste Stéphane Veyrat.
Reste une difficulté de taille, que seule Valérie Pécresse semble avoir anticipée. Aujourd’hui, les commandes publiques pour l’approvisionnement des cantines doivent respecter les règles internationales et le droit de la concurrence. Ce qui empêche les collectivités de prendre en compte l’implantation géographique des candidats lors des appels d’offres, rendant plus difficiles les candidatures des producteurs locaux. Quand bien même certaines collectivités réussissent à contourner ces règles, cela mérite de nombreux ajustements. Un obstacle déjà pointé par la Cour des comptes en 2020. Dans une tribune publiée dans Libération et cosignée par plus de 80 élus, le réseau réclame ainsi une «exception alimentaire» dans le code des marchés publics. Grâce à cette exception, les collectivités «auraient plus de pouvoir pour jouer sur la qualité, en faisant appel à des productions fermières, labellisées, bio, en soutenant l’installation de nouveaux agriculteurs vertueux sur leur périmètre, voire en ranimant d’innombrables friches laissées à l’abandon faute de débouchés rémunérateurs», font valoir les signataires.