De nouvelles révélations accablantes pour le groupe Nestlé. Dans une enquête conjointe, les cellules investigation de Radio France et du journal le Monde affirment que la qualité des ressources en eau exploitées par l‘usine Perrier de Nestlé, dans le Gard, n’est toujours pas suffisante pour produire de l’eau minérale naturelle.
Après de multiples accusations de fraude en début d’année, notamment sur l’utilisation de traitements interdits sur ses marques Hépar, Vittel, Contrex et Perrier, le groupe Nestlé Waters avait assuré avoir supprimé tous ses procédés illégaux et mis en place des plans de transformation de ses usines. La multinationale avait aussi affirmé que «la sécurité sanitaire» de ses produits avait «toujours été garantie». Ce que dément un rapport d’inspection de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie, daté du 30 août 2024, auquel Radio France et le Monde ont eu accès.
Risques de virus
Ce document, établi après l’inspection inopinée de l’usine Perrier de Nestlé dans le Gard au printemps, montre que la qualité des ressources en eau exploitées n’est toujours pas suffisante pour produire de l’eau minérale naturelle. Selon la réglementation, celle-ci doit être «microbiologiquement saine» et «tenue à l’abri de tout risque de pollution». Pourtant, le rapport s’alarme d’un risque virologique pour les consommateurs et envisage pour la première fois «un arrêt de la production d’eau minérale naturelle sur le site de Vergèze», révèlent les deux médias.
C’est à la demande du préfet du Gard, Jérôme Bonet, que l’usine de Vergèze a été inspectée le 30 mai 2024 par les agents de l’ARS Occitanie, afin de «contrôler le bon démantèlement des traitements interdits» et de «vérifier la traçabilité et les pratiques de fabrication des produits». Si certains traitements non autorisés ont bien été retirés, le risque de fraude perdure. En effet, selon Radio France et le Monde, les contrôles n’ont pas permis de s’assurer qu’il n’y avait pas «d’autre dispositif de traitement non autorisé dissimulé dans l’usine» et rien n’empêche, techniquement, Nestlé d’appliquer des traitements réservés aux eaux de boisson sur ses eaux minérales naturelles.
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Ensuite, les contrôles qualité menés par le groupe Nestlé présentent des résultats microbiologiques «inhabituels pour une eau minérale naturelle», avec une «instabilité des eaux», et la présence de micro-organismes dans les eaux brutes, ce qu’interdit strictement la réglementation, souligne le rapport de l’ARS.
Plusieurs épisodes de contamination ont été relevés, comme en avril, lorsque la production de l’un des puits de l’usine a été stoppée à cause de la présence de germes fécaux, pouvant provoquer des maladies chez l’humain. La découverte avait entraîné la destruction par Nestlé de trois millions de bouteilles de Perrier. A la même période, une opération de nettoyage menée sur deux autres puits, a révélé un nouvel épisode de contamination par ce type de germes. Les agents de l’ARS estiment que ces «contaminations bactériennes», bien que «ponctuelles», sont «inacceptables pour une eau minérale naturelle», rapportent Radio France et le Monde.
Complicité du gouvernement
Pour pallier la qualité insuffisante de sa ressource en eau, l’usine de Perrier a renforcé son dispositif de traitement par microfiltration. De quoi afficher un taux de conformité élevé pour les bouteilles vendues dans le commerce. Mais ces microfiltres ne sont «pas réglementaires», note l’ARS, puisqu’ils permettent à la multinationale de masquer la contamination de ses eaux brutes pour pouvoir les commercialiser comme des eaux minérales naturelles, pourtant censées provenir de ressources souterraines préservées.
Interview
Enfin, l’enquête des deux médias révèle également un «risque virologique» (adénovirus, norovirus, hépatite A) pour les consommateurs. Car les microfiltres utilisés par Nestlé «n’ont pas d’effet de rétention sur les virus». Un risque viral qui a été, en outre, négligé par le gouvernement. En effet, dans un rapport remis au gouvernement en juillet 2022, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) expliquait que la mise en place de ces filtres non conformes pourrait constituer une «fausse sécurisation» et «exposer les consommateurs à un risque sanitaire en lien avec l’ingestion de virus». De même, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a notifié au gouvernement qu’il n’était «pas acceptable» d’accorder à Nestlé la possibilité d’utiliser ces microfiltres, comme le groupe le réclamait. Pourtant, malgré ces avertissements, le gouvernement d’Elisabeth Borne a décidé en février 2023, «en réponse aux demandes de l’industriel», d’autoriser la multinationale suisse à utiliser des microfiltres non conformes.
Face à ces constats, l’ARS Occitanie envisage «un arrêt de la production d’eau minérale naturelle sur le site de Vergèze», alors que les travaux d’une commission d’enquête du Sénat viennent de débuter. L’avenir de Perrier et des 1 000 salariés de son usine de Vergèze dépend désormais de la préfecture du Gard, soulignent Radio France et le Monde. Celle-ci doit en effet se prononcer sur la demande de renouvellement d’autorisation d’exploitation de la «source Perrier» pour produire de l’eau minérale naturelle. Cette décision pourrait être rendue lors du premier semestre 2025. De son côté, Nestlé assure «opérer le site de Vergèze conformément au cadre fixé par les autorités et sous leur contrôle». Avant de préciser de pas pouvoir faire de commentaires sans avoir pris connaissance du rapport final.