La crise des matières premières alimentaires entraîne des réflexes protectionnistes. Après la récente vague de chaleur qui a frappé le pays, l’Inde a décidé ce samedi d’interdire les exportations de blé. Et ce alors que le pays est le deuxième producteur de blé au monde, renforçant les craintes pour l’approvisionnement mondial en céréales déjà en difficulté depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Une décision vivement critiquée dans la foulée par les ministres de l’Agriculture du G7, qui jugent que cela ne ferait «qu’aggraver la crise».
«Si tout le monde commence à imposer de telles restrictions à l’exportation ou même à fermer les marchés, cela ne fera qu’aggraver la crise et cela nuira aussi à l’Inde et à ses agriculteurs», a déclaré le ministre allemand de l’Agriculture, Cem Özdemir, à l’issue d’une réunion avec ses homologues à Stuttgart. «Nous appelons l’Inde à prendre ses responsabilités en tant que membre du G20», a-t-il ajouté en réaction à l’annonce de New Delhi. «Nous nous sommes prononcés contre des restrictions d’exportation et appelons à maintenir les marchés ouverts», a rappelé Özdemir.
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Et même si l’Inde n’avait rien exporté plusieurs années de suite dans les années 2010, le pays devait envoyer à l’étranger 10 millions de tonnes de blé en 2022-2023, au lieu des 7 millions précédemment annoncés, une première depuis 2014. «Le rythme soutenu des exportations indiennes devrait se poursuivre en raison de ses stocks abondants et de la hausse des prix mondiaux», estime par ailleurs le département américain de l’Agriculture. Selon Reuters, ce dernier a par ailleurs fixé jeudi les stocks mondiaux de blé en fin de campagne pour la campagne 2022-2023 à 267 millions de tonnes, soit le niveau le plus bas depuis six ans, bien en deçà des estimations des analystes qui tablaient sur 272 millions. Cela pourrait augurer d’un prix mondial du blé toujours au plus haut.
«Nos agriculteurs se sont assurés de prendre soin non seulement de l’Inde mais de l’ensemble du monde.»
— Piyush Goyal, ministre du Commerce et de l’Industrie
L’Inde a décidé cette interdiction pour assurer sa «sécurité alimentaire» après un déclin de la production en raison de la chaleur extrême et d’une hausse des cours, conséquence de la guerre en Ukraine. Plus tôt ce mois, le gouvernement avait précisé que ces conditions climatiques allaient entraîner, pour la première fois en six ans, une baisse de la récolte de blé, d’au moins 5 % par rapport à 2021, quand quelque 110 millions de tonnes avaient été récoltées. Les contrats d’exportation conclus avant le décret pourront être honorés, la mesure ne concernant que les exportations futures. «Nos agriculteurs se sont assurés de prendre soin non seulement de l’Inde mais de l’ensemble du monde», avait dit le mois dernier le ministre du Commerce et de l’Industrie, Piyush Goyal.
Ces exportations ne pourront finalement se faire que sur autorisation spéciale de New Delhi, qui décidera au cas par cas d’approuver des demandes d’autres pays «pour garantir leur sécurité alimentaire». Les ministres de l’Agriculture réunis à Stuttgart ont «recommandé» d’évoquer le sujet lors de la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement du G7 en juin, où l’Inde sera présente en tant qu’invitée. Jeudi, le pays avait par ailleurs annoncé que des délégations allaient se rendre dans plusieurs pays d’Afrique du Nord, en Turquie, au Vietnam, en Thaïlande ou encore au Liban pour «étudier les pistes de renforcement des exportations de blé depuis l’Inde». Il n’était pas clair ce samedi si ces déplacements étaient maintenus.
Lancée le 24 février, l’offensive militaire russe perturbe gravement l’activité agricole dans les campagnes d’Ukraine, qui était avant l’invasion le quatrième exportateur mondial de maïs et en passe de devenir le troisième exportateur de blé. En raison du blocus imposé aux ports du pays, une vingtaine de tonnes de céréales attend dans les silos d’être exportée et la récolte de cette année est menacée.
Une invasion qui va par ailleurs aggraver les fragilités des pays très dépendants des exportations de céréales ou d’engrais russes et ukrainiens, notamment en Afrique, où l’insécurité alimentaire atteint déjà des sommets sous l’effet des conflits, des crises climatiques et des chocs économiques.