Ce n’est pas si compliqué de manger moins de viande. Lucile Marty, chercheuse en nutrition comportementale à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), a étudié le comportement des étudiants de Dijon quand leur Crous est passé de 25 % à 50 % de plats végétariens pendant deux semaines tests. Ses résultats, publiés mardi 16 juillet dans le International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity, démontrent que non seulement les étudiants mangent plus souvent végétarien (de 23 à 45 %), mais en plus, leur satisfaction et leur appréciation ne changent pas.
Depuis la loi Egalim de 2018, les cantines de la maternelle à la terminale doivent proposer au moins un repas végétarien par semaine. Mais rien n’interdit d’étendre le dispositif. Une partie non négligeable des émissions de gaz à effet de serre provenant de l’élevage, une étude du Réseau Action Climat et de la Société française de nutrition affirmait en février que réduire la consommation actuelle de viande de 50 % permettrait d’atteindre les objectifs climatiques fixés pour la France. Pour Libération, Lucile Marty détaille ses recherches sur les freins à la diffusion des menus végétariens.
Dans votre étude, vous montrez que doubler la part des plats végétariens permet de diminuer de 20 % les émissions de gaz à effet de serre sans obérer la satisfaction des étudiants, c’est bien ça ?
Oui. Notre étude montre que quand on augmente la disponibilité des plats végétariens, ceux-ci sont plus souvent choisis et les étudiants se disent tout autant satisfaits des choix qui leur sont proposés et de la qualité gustative de leur plat. Nous avons mesuré cette notion par un questionnaire de satisfaction et en pesant les restes dans les assiettes. Cette notion de satisfaction est importante et n’avait pas été mesurée par les études précédentes sur le sujet. Pourtant, continuer à prendre du plaisir quand on mange un plat végétarien est une garantie de la pérennité d’un changement alimentaire. D’ailleurs, après notre expérience, le Crous de Dijon est passé de 25 % de plats végétariens à 30 %.
Vous avez décidé de ne pas dire aux étudiants qu’une expérience était en cours. Pourquoi ?
Il fallait s’affranchir des présupposés. Les personnes qui ont un a priori négatif fort sur les plats végétariens risquaient d’avoir une appréciation plus négative de ces plats si on les prévenait d’un changement. Mais nous n’avons pas caché les plats végétariens non plus. Sur les 600 questionnaires que nous avons recueillis, 6 % des étudiants ont d’ailleurs décelé la hausse de l’offre végétarienne. Il s’agissait en général d’étudiants déjà inscrits dans une démarche de réduction des produits issus des animaux dans leur alimentation.
Ce changement ne se traduit ni par une baisse de coût ni par une hausse de la valeur nutritionnelle de plats. C’est contre-intuitif, non ?
On ne s’attendait pas à cela. En moyenne, les plats végétariens de la carte du Crous sont moins chers et meilleurs en termes de nutrition. Mais quand on regarde les assiettes des étudiants, la valeur nutritionnelle baisse même de 0,3 point sur une échelle qui va de -15 à 40. Le signal n’est donc pas très fort, mais on s’attendait à la voir s’améliorer. De même pour les coûts qui sont en hausse. Cela tient au choix des recettes. Si vous remplacez une pizza au poulet par une quatre fromages, le nutriscore ne va pas s’améliorer. De même, si vous remplacez les pâtes carbonara par des pâtes avec une sauce au safran, le prix va être plus élevé. Il reste possible de faire une transition vers des plats végétariens en augmentant la valeur nutritionnelle tout en baissant les coûts, mais il faut choisir les recettes dans ce sens. Cela demande un peu de réflexion de la part des personnes en charge d’établir les menus.
Il y a donc un enjeu fort autour des recettes. Est-ce que les plats connus mais dont on enlève la viande – comme les lasagnes – ont plus de succès que les plats typiquement végétariens - comme le Dal de lentilles ?
Dans cette étude, le dal ou le curry de pois de chiche font partie du Top 20 des plats les plus appréciés sur la période. Beaucoup plus que les recettes que l’on dit «plaquées» comme la galette de fromage par exemple. Mais on sait que cela dépend du profil du mangeur. Quelqu’un qui commence juste sa transition alimentaire va être rassuré par des plats qu’il connaît. La familiarité des plats est importante et est un frein au changement. On lance d’ailleurs une enquête auprès de 300 étudiants pour établir des profils, savoir qui mange quoi en fonction de leurs motivations et de critères sociodémographiques.
Comment le personnel du Crous a-t-il réagi à votre initiative ?
De manière mitigée. La moitié était enthousiaste et l’autre moins. Mais on s’est aperçu qu’il y avait une corrélation entre leur profil de mangeur et leur réaction. Les amateurs de viande dans leur propre consommation percevaient plus volontiers comme une contrainte d’avoir à cuisiner des plats végétariens. Ceci dit, on n’a pas eu d’énorme levée de boucliers non plus.
A-t-on des résultats auprès d’un public plus jeune que les étudiants ?
Nous avons mené des études sur les cantines scolaires de Dijon. Nous avons demandé aux enfants de 6 à 11 ans de noter leur plat tous les jours pendant un an. 200 000 votes. Les plats végétariens ne sont pas moins bien notés que les autres. Par ailleurs, les parents sont majoritairement favorables à deux repas végétariens par semaine. C’est ce que la municipalité a fait. C’est au-delà de ce que demande la loi Egalim.