De jeunes mâles capucins trompent leur ennui en cédant à une tradition étrange : ils kidnappent des bébés singes hurleurs. C’est la conclusion de certains chercheurs dans une étude publiée lundi 19 mai par la revue Current Biology. Pour les auteurs du rapport, il s’agit du premier exemple d’animaux capturant sans raison apparente les petits d’une autre espèce.
La doctorante Zoë Goldsborough a détecté le phénomène en 2022 en étudiant des images prises par des caméras à détecteur de mouvement sur l’île Jicaron, au large du Panama. «J’ai été très choquée», se souvient l’écologue comportementale à l’institut Max Planck de comportement animal en Allemagne, en voyant un capucin à face blanche portant un bébé singe hurleur sur son dos.
Affublé du nom de Joker, – à cause d’une cicatrice à la bouche rappelant aux chercheurs le méchant dans Batman –, ce capucin kidnappeur a été identifié à quatre reprises avec un bébé singe hurleur différent.
Au point de croire initialement à «la jolie histoire d’un capucin étrange qui adoptait ces bébés», raconte Zoë Goldsborough, première autrice de l’étude. Mais d’autres singes ont commencé à imiter le Joker. Cinq capucins portant onze bébés singes hurleurs sur une période de quinze mois ont ainsi été recensés. Les scientifiques ont également observé des images de singes hurleurs adultes cherchant désespérément leurs petits en poussant des cris.
Un comportement mortel
Les chercheurs étaient perplexes, car les kidnappeurs ne mangeaient pas les bébés et ne semblaient pas non plus s’amuser avec eux. Ces enlèvements sont en réalité une tradition sociale, une sorte de «mode» répandue chez les jeunes mâles capucins de l’île, selon Zoë Goldsborough. C’est la première fois qu’une étude répertorie le comportement d’enlèvements répétés des petits d’une espèce par une autre espèce, selon son coauteur, Brendan Barrett.
D’autant plus que cette tradition a déjà coûté la vie de quatre bébés singes hurleurs, selon les chercheurs. Ils soupçonnent que les autres soient victimes du même sort, faute d’avoir pu boire le lait de leur mère, précise The New York Times. Les bébés étaient en effet transportés pendant des jours et mouraient souvent de déshydratation ou de faim.
Les scientifiques s’interrogent sur le mode opératoire des kidnappeurs qui agissent sans doute dans les arbres du parc national Coiba, où les caméras sont placées au sol. «Ils sont très habiles, parce qu’ils semblent être capables d’enlever à sa mère un bébé vieux d’un ou deux jours», selon Zoë Goldsborough. Et sans dommage apparent, alors qu’un singe capucin est trois fois moins gros qu’un singe hurleur adulte.
Nature
Le phénomène de tradition sociale a déjà été répertorié chez des animaux. Brendan Barrett a ainsi étudié des capucins au Costa Rica qui s’étaient mis à épouiller des porcs-épics, avant que cette mode ne passe.
Dans les années 1980, des orques de la côte du Nord-Ouest américain avaient, quant à elles, pris l’habitude d’exhiber des saumons morts sur leur tête. Un phénomène réapparu bien plus tard, avec l’observation il y a un an d’orques portant un «chapeau de saumon».
«Agents explorateurs du chaos»
Les chercheurs se sont intéressés aux capucins de Jicaron en 2017 parce qu’ils savent utiliser des pierres pour ouvrir des noix et des coquillages. Sans prédateurs et avec une ressource infinie de nourriture, ils ont beaucoup de temps libre. «Ce sont des agents explorateurs du chaos», s’amuse Brendan Barrett.
Cette disponibilité est peut-être mise à profit pour la transmission de traditions sociales, comme l’utilisation de pierres comme outils, mais aussi de «comportements apparemment arbitraires», comme le vol de bébés, selon le coauteur de l’étude.
Selon Zoë Goldsborough, il y a eu au moins encore un vol de bébé après la conclusion de l’étude en juillet 2023. Un phénomène en baisse depuis le début des observations, en raison d’une plus faible proportion de singes hurleurs sur l’île, classée comme espèce en danger.