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Au radar

La très mauvaise vision des baleines à bosses, à la limite de la myopie, à l’origine de leurs collisions avec des bateaux, selon une étude

Contrairement à d’autres cétacés, la baleine à bosses, plus gros animal de la planète, ne peut pas compenser cette vision médiocre par l’écholocalisation, qui consiste à envoyer des sons pour se repérer dans l’espace.
Baleine à bosse sur l'île de la Réunion. (GABRIEL BARATHIEU/Biosphoto via AFP)
publié le 23 mai 2025 à 20h19

Une étude qui pourrait enfin lever le voile sur les multiples collisions des cétacés avec les frégates, voiliers et autres bateaux. Ou sur les nombreux enchevêtrements des baleines à bosses dans les filets de pêche. Une étude de la revue scientifique britannique Proceedings of the Royal Society B. publiée mercredi 21 mai et relayée par le New York Times, révèle que les yeux de ces cétacés - plus gros animaux de la planète - offrent une vision très médiocre.

Une acuité visuelle si mauvaise - d’autant que la baleine ne voit qu’en noir et blanc - qu’elle permet uniquement à l’animal de percevoir son environnement et les plus grandes formes présentes sous forme de silhouettes noires très floues. Et même si ses yeux atteignent la taille d’un ballon de foot, ils ne leur permettent pas non plus de distinguer les plus petits éléments présents dans leur espace. La seule condition pour déceler quelque chose de net : être extrêmement proche de l’objet visé. Mauvaise vision de loin et vision nette de près : tout conduit ainsi à dire que les baleines à bosses sont myopes.

Jacob Bolin, chercheur en biologie à l’Université de Caroline du Nord et coauteur de l’étude, rapporte qu’en raison de cette très mauvaise vision, les lignes de filets de pêche peuvent être pratiquement invisibles pour elles. Elles ne peuvent les apercevoir qu’au dernier moment. Résultat : elles ne parviennent pas à les éviter, s’y emmêlent et peuvent y rester bloquées des heures, voire des jours.

Ces nouveaux éléments pourraient inspirer de nouvelles «stratégies afin de rendre les engins de pêche plus visibles» et aider les baleines à éviter des rencontres fatales avec les hommes, exhorte dans le quotidien américain Lorian Schweikert, biologiste ayant participé à l’étude.

Une trop faible quantité de cellules ganglionnaires

Pour mener à bien ces recherches, Jacob Bolin et son équipe de biologistes ont disséqué un œil de jeune baleine à bosse. L’animal avait été retrouvé échoué sur une plage de Caroline du Nord en 2011, mais ses organes avaient néanmoins pu être conservés intacts pour de futures études.

Les biologistes ont notamment découvert que la faible densité de cellules ganglionnaires des baleines à bosses - un type de neurones situés dans la rétine et permettant la vision - constituait le principal obstacle à leur bonne acuité visuelle. La densité la plus élevée relevée par Jacob Bolin dans l’œil de la baleine était en effet d’environ 180 ganglions rétiniens par millimètre carré. A l’inverse, les hommes en possèdent entre 35 000 et 40 000 par millimètre carré, tandis que certains oiseaux peuvent en avoir jusqu’à 70 000 par millimètre carré. La baleine à bosses se trouve donc loin derrière.

Les scientifiques ont également pu établir qu’un tiers de la profondeur de l’œil de baleine à bosses était constitué de sclérotique, ce blanc de l’œil qui entoure le globe oculaire, et qui n’intervient donc pas dans la vision. La taille gigantesque de leurs yeux ne rime donc pas avec une bonne vue.

Ces différents éléments permettent ainsi d’établir de premières pistes et d’expliquer pourquoi ces cétacés sont si vulnérables aux collisions avec les bateaux, comme lors du Vendée Globe. Une tragédie largement passée sous silence.

«Ce travail permet de combler une lacune importante dans notre compréhension de l’écologie sensorielle des grandes baleines, de la manière dont les baleines à bosse perçoivent leur monde», a souligné Lori Schweikert, professeur adjoint de biologie et de biologie marine.