Mythe ou réalité ? L’entreprise américaine Colossal Biosciences affirme avoir fait naître des loups jumeaux – Romulus et Rémus ainsi que leur sœur Khaleissy, tous issus d’une espèce disparue depuis 10 000 ans : le «loup sinistre». Plus connu pour son apparition sur le continent fantastique de Westeros dans la série Game Of Thrones, cet animal est aussi appelé «loup géant», en référence à son 1,60 mètre de long en moyenne et à sa tête de 40 centimètres. Dans la réalité, cette espèce a vécu à la période préhistorique sur le continent américain.
L’objectif de cette start-up créée en 2021 est de résoudre «le problème colossal de l’extinction» qui pourrait concerner 50 % des espaces animales d’ici 2050, selon elle et la World Animal Foundation. Elle affirme avoir atteint son but de la «désextinction». En mars, l’entreprise dévoilait avoir modifié la génétique de souris pour en faire des laineuses et ainsi reproduire à terme cette manipulation sur des éléphants en espérant ressusciter le mammouth laineux. Même souhait pour le retour à la vie du dodo, espèce disparue depuis le XVIIIe siècle.
Une dent et un os d’oreille
C’est finalement avec la naissance des jumeaux Romulus et Remus en fin d’année 2024 que la prouesse serait arrivée, après près de deux années de travail. Pour cela , les scientifiques sont partis d’un échantillon du sang de loup gris, d’ossements de dent et d’oreille de loup sinistre trouvés aux Etats-Unis – respectivement datés de 13 000 et 72 000 ans et conservés par des musées. Ils ont effectué 20 modifications sur seulement 14 des 19 000 gènes du loup gris, selon le Time. Puis l’embryon a été inséminé dans le vagin d’une chienne domestique, qui a ensuite accouché par césarienne à la fin de sa gestation.
Bis repetita pour la naissance de leur petite sœur Khaleissy quatre mois plus tard. «Nous disposons désormais de technologies permettant de modifier l’ADN afin d’accroître la résilience des espèces menacées d’extinction ou de raviver la diversité génétique et les espèces disparues», se réjouit une biologiste évolutionniste, Bridgett von Holdt.
«La robe blanche», «une taille plus grande, des épaules plus puissantes, une tête plus large, des dents et des mâchoires plus grandes, des pattes plus musclées et des vocalisations caractéristiques, notamment des hurlements et des gémissements», commente le Time qui a pu les observer pour de vrai. «Ces louveteaux furent les premiers à pousser un hurlement qui n’avait pas été entendu sur Terre depuis plus de 10 000 ans», ajoute le magazine américain, qui n’a pas hésité à faire de l’un des jumeaux sa couverture du 7 avril. Désormais âgés de 6 mois, ils mesurent déjà près d’1,20 mètre de long et pèse 36 kg. Leur taille adulte, qui peut aller jusqu’à 1,80 m de long pour 78 kilos, ne sera atteinte qu’à leurs 18 mois. En comparaison, en France, un loup gris adulte a une longueur de 1,10 à 1,50 mètre pour 20 à 40 kilos, selon l’Office français de la biodiversité .
Enthousiasme et critiques
«La renaissance du loup géant annonce l’avènement d’une nouvelle ère passionnante de merveilles scientifiques, illustrant comment le concept de “désextinction” peut servir de fondement à la conservation moderne des espèces», a réagi le secrétaire américain à l’Intérieur, Doug Burgum – outre-Atlantique, il est notamment en charge des ressources naturelles et du patrimoine culturel de la nation. Si la Maison Blanche s’emballe, ce n’est pas le cas d’une grande partie de la communauté scientifique. Le paléogénéticien et professeur de l’Université d’Otago Nic Rawlence a affirmé dans un article pour BBC News que l’ADN du loup sinistre recueilli sur les ossements est trop ancien pour être fiable. «C’est comme si on mettait de l’ADN frais dans un four à 250 °C toute la nuit. Il en ressort fragmenté, comme des éclats et de la poussière», illustre le scientifique. Résultat : «Colossal [Biosciences] a donc créé un loup gris, mais avec des caractéristiques similaires à celles d’un loup redoutable, comme un crâne plus grand et une fourrure blanche», conclut Nic Rawlence.
Interview
Un point de vue que partage Nadir Alvarez, directeur du muséum d’Histoire naturelle de Genève, auprès de nos confrères de France Info : «Ce n’est pas parce que 20 nucléotides ont été modifiés que ce loup se mettra à attaquer des proies plus grandes.» Paléontologue au même musée et coauteur avec Nadir Alvarez du livre Faire revivre des espèces disparues ?, publié aux éditions Favre, Lionel Cavin était déjà critique à l’égard de Colossal Biosciences, lors d’une interview accordée à Libé en 2024. Il estimait alors que la société était adepte des coups marketing : «Il faut voir quelles espèces ils ont choisies pour leur projet… illustrait-il. Trois espèces emblématiques : le mammouth, le dodo et le thylacine [ou tigre de Tasmanie, ndlr]. Ce ne sont vraiment pas les espèces les plus simples à déséteindre, donc c’est clairement pour l’image.»