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Libération
A tire-d'aile

On sait enfin pourquoi les autruches ont des cousins partout dans le monde

Une étude parue mercredi 17 septembre dans la revue «Biology Letters» suggère que les oiseaux de la famille de l’autruche auraient autrefois été capables de voler. Cela expliquerait leur répartition sur différents continents.

Un émeu, de la même famille que l'Autruche, dans l'arrière-pays australien. (Naomi Rahim/Getty Images)
Publié le 17/09/2025 à 11h54

C’est une énigme qui préoccupe depuis longtemps les zoologistes. Les autruches africaines, les émeus et casoars australiens, les kiwis néo-zélandais et autres nandous sud-américains sont tous de proches parents, appelés paléognathes. Comment ces oiseaux, visiblement peu aptes à voyager, ont-ils pu se retrouver disséminés de par le monde ?

Au sein de cette vaste famille, seuls les tinamous d’Amérique du Sud sont capables de voler. Et encore, ils se limitent à de courtes envolées pour échapper à un danger ou franchir un obstacle. Mais peut-être les paléognathes n’ont-ils pas toujours été cantonnés à la terre ferme. Le plus ancien représentant connu de ce groupe pouvait même traverser des océans, suggère une étude parue mercredi 17 septembre dans les Biology Letters, la revue scientifique de la British Royal Society.

Les chercheurs ont longtemps supposé que cette famille avait vu le jour au Gondwana, un «supercontinent» qui a commencé à se morceler il y a 160 millions d’années pour donner naissance à l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Australie, l’Inde, Madagascar, la Nouvelle-Zélande et l’Antarctique. La dérive des continents aurait isolé les différents représentants de ces oiseaux terrestres.

Mais des études génétiques ont montré que «les séparations évolutives entre espèces de paléognathes se sont produites bien après» la dislocation du Gondwana, explique à l’AFP Klara Widrig, spécialiste de la zoologie des vertébrés au Musée national d’histoire naturelle des Etats-Unis à Washington et principale autrice de l’étude.

Un ancêtre capable de voler

Avec ses collègues, ils ont analysé un spécimen «exceptionnel» de lithornithidés, «les plus anciens fossiles de paléognathes découverts à ce jour», qui vivaient au Paléogène (-66 à -23 millions d’années).

«Comme les os d’oiseaux sont généralement fragiles, ils sont souvent écrasés lors du processus de fossilisation», raconte Klara Widrig. Mais ce fossile, un Lithornis promiscuus retrouvé au Wyoming (Etats-Unis) et conservé dans les collections du musée, a été préservé en trois dimensions et sans distorsion.

Ce qui a permis aux chercheurs de scanner son sternum, l’os auquel sont rattachés les principaux muscles du vol. Les scientifiques en ont déduit que le Lithornis promiscuus était bien capable de se mouvoir dans les airs, soit en battant des ailes de façon continue, soit en alternant vol battu et vol plané. Sa structure squelettique était similaire à celle des hérons et aigrettes actuels, qui «sont capables de traversées transocéaniques», souligne Klara Widrig.

«Le temps de s’adapter»

Comment expliquer que les paléognathes soient aujourd’hui campés au sol ? La zoologue explique que deux conditions essentielles poussent les oiseaux vers la perte du vol : «Pouvoir trouver toute leur nourriture au sol» et «n’avoir aucun prédateur qui les menace».

Conditions réunies pour notre petite famille : une étude récente a permis de découvrir que les lithornithidés pouvaient avoir un organe vibrotactile au bout du bec, ce qui les aurait rendus très efficaces pour sonder le sol à la recherche d’insectes. Quant à l’absence de prédateurs, elle est selon la chercheuse probablement liée à l’extinction des dinosaures.

Les petits mammifères ayant survécu à l’extinction n’ont évolué que progressivement en prédateurs, «ce qui a donné aux oiseaux incapables de voler le temps de s’adapter, soit en devenant de rapides coureurs - comme l’émeu, l’autruche et le nandou -, soit en devenant eux-mêmes dangereux et intimidants - comme le casoar», détaille l’autrice de l’étude.

Bien qu’incapables de voler, les paléognathes demeurent redoutables, comme le rappelle la cuisante défaite de l’Australie lors de la Guerre des émeus en 1932 : les oiseaux, qui rendaient la vie impossible aux fermiers, mirent en déroute des militaires équipés de mitrailleuses, jusqu’à ce que l’Etat australien ne renonce à essayer de réguler leur population.