Depuis l’arrestation le 21 juillet au Groenland de Paul Watson, fondateur de l’ONG de défense des océans Sea Shepherd visé par un mandat d’arrêt international émis par le Japon, la question de son extradition vers l’archipel concentrait toutes les inquiétudes. Mercredi 31 juillet, après plusieurs jours de silence, Tokyo a finalement émis une demande officielle d’extradition à l’encontre du militant opposé à la chasse à la baleine, selon les informations du ministère danois de la Justice transmises aujourd’hui. Le Japon est l’un des derniers pays aux côtés de la Norvège et de l’Islande à autoriser cette pratique décriée.
Une fois les documents reçus, l’affaire sera transmise à la police du Groenland, territoire autonome danois, qui entamera des enquêtes pour déterminer s’il existe ou non un motif d’extradition. Le cas échéant, l’affaire sera soumise au ministère de la Justice danois pour une décision finale. Il est également possible pour le ministère danois de rejeter d’office cette demande d’extradition, c’est-à-dire avant de transmettre le cas à la police groenlandaise. L’échéance du jeudi 15 août avait initialement été communiquée par la police du Groenland comme la date butoir d’une prise de décision concernant l’extradition ou non du militant vers le Japon. Aucune nouvelle date n’a pour l’instant été communiquée.
«Malheureusement, on s’y attendait»
Les avocats de Paul Watson sont actuellement «en contact permanent avec les organes de justice du Groenland et du Danemark, ainsi que le ministère de la Justice, ce qui est un processus normal dans ce type de situation», explique à Libération Me Tamalet, l’un des conseils du militant, quelques heures après l’émission de la demande d’extradition. Et de poursuivre : «Nous faisons tout notre possible pour que la bonne décision soit prise par le Danemark, c’est-à-dire refuser d’extrader Paul Watson et le remettre en liberté.»
L’épouse du capitaine, Yana Watson, a quant à elle publié jeudi une photo de l’écologiste aux côtés de leurs deux enfants sur son compte Facebook, implorant la reine et le roi du Danemark de «libérer Paul». «Il souffre du diabète de type 1. La prison japonaise sera mortelle pour lui», a-t-elle plaidé. «Il aime ses enfants, sa famille et nous l’aimons et voulons qu’il revienne. S’IL VOUS PLAÎT.»
En séjour au Groenland où elle a rendu visite au détenu Paul Watson, la présidente de la branche française de l’ONG Sea Shepherd, Lamya Essemlali, réagit elle aussi auprès de Libération : «Malheureusement, on s’y attendait. Ça ne fait que renforcer l’idée qu’il est fondamental de mettre la pression sur le Danemark. Les motifs du mandat d’arrêt sont ubuesques et Interpol n’aurait jamais dû l’accepter et accepter de le relayer.» Elle pointe la sévérité du système judiciaire et carcéral japonais : «On a l’idée d’une nation qui a dix ans d’avance. En réalité, une extradition au Japon, pour Paul, c’est un arrêt de mort.» Tout en saluant la France pour sa mobilisation «au niveau politique et diplomatique» – Emmanuel Macron suit «personnellement» et «de près» le dossier, explique-t-on à l’Elysée –, Lamya Essemlali regrette que d’autres pays de l’Union européenne ne fassent pas preuve du même engagement.
«Les autorités danoises nous répètent qu’elles ne peuvent pas intervenir dans un dossier judiciaire, rapporte une source française au fait des discussions. Pourtant, elles ont fait le choix politique de l’arrêter.» Depuis l’arrestation du défenseur des océans, le secrétaire d’Etat démissionnaire chargé de la Mer, Hervé Berville, et le Quai d’Orsay, s’activent eux aussi en coulisse pour plaider la cause du prisonnier de Nuuk, profitant notamment de la venue d’officiels étrangers pendant les JO de Paris.
Tribune
Un mandat d’arrêt japonais décrié par les soutiens du capitaine
Le «Robin des mers» avait été arrêté à la mi-juillet au Groenland, et placé en détention jusqu’au 15 août. Une interpellation qui intervenait au nom d’une «notice rouge» émise par le Japon à l’encontre de Paul Watson, Tokyo l’accusant d’avoir causé des dommages à un navire japonais et blessé des membres de l’équipage lors de deux incidents survenus dans l’océan Antarctique en 2010. Il avait ainsi été appréhendé sur son navire qui venait d’accoster à Nuuk, capitale du Groenland, pour se ravitailler en carburant en vue d’«intercepter» le nouveau navire-usine baleinier du Japon dans le Pacifique Nord, avait alors indiqué la Fondation du capitaine Paul Watson (CPWF) dans un communiqué.
Me François Zimeray, l’un des avocats de Paul Watson – aux côtés d’Emmanuel Jez, Jean Tamalet et Rachel Lindon –, livrait à Libération qu’en cas d’extradition, son client risque «de ne pas avoir le droit à un procès équitable […] dans un pays qui ne respecte aucun des traités internationaux sur les droits de l’homme».
Mardi 30 juillet, après avoir rendu visite à Paul Watson en détention au Groenland, la présidente de la branche française de l’ONG Sea Shepherd avait toutefois tenu à rassurer sur l’état de santé actuel du capitaine. «Paul va bien, il garde le moral. Il ne regrette rien», avait-elle rapporté. Au Japon, le militant encourt une peine d’emprisonnement de plus de 15 ans et une amende pouvant atteindre les 500 000 yens, soit plus de 3 000 euros.
Des négociations diplomatiques en coulisse
Au-delà de l’univers du militantisme écologiste, l’arrestation de cet opposant invétéré à la chasse à la baleine a retenti jusque dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Le 25 juillet, des députés des huit groupes politiques ont apporté leur soutien au militant, «défenseur historique de l’océan et de la vie qui y foisonne». Dans un communiqué, Jean-Noël Barrot, Clémence Guetté (LFI) ou encore Hervé Berville (EPR) qualifiaient alors son combat de «juste».
Ce bras de fer avec le Japon n’est qu’un énième épisode d’une lutte que l’archipel mène contre l’activiste qui a braqué les projecteurs sur la chasse à la baleine et s’est souvent heurté à la flotte baleinière japonaise en Antarctique. «J’ai moi-même été qualifié d’écoterroriste par le gouvernement japonais et accusé d’avoir comploté l’arraisonnement d’un baleinier, résumait ainsi le capitaine Watson en 2020 dans son autobiographie Urgence ! Il faut sauver les océans [éditions Glénat, ndlr]. Accusation qui m’a valu d’être inscrit sur la liste rouge d’Interpol en 2012, et qui limite mes voyages au-delà des frontières des Etats-Unis. C’est un sacrifice que je considère acceptable. Nos efforts pour empêcher les braconniers japonais de massacrer illégalement des baleines dans le sanctuaire de l’océan Austral ont porté leurs fruits.»
Une pétition en ligne française exhortant Emmanuel Macron à exiger la libération de Paul Watson a recueilli près de 670 000 signatures en huit jours. Sea Shepherd France a également annoncé mardi avoir lancé une pétition en ligne distincte adressée à la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, l’enjoignant de ne pas extrader le militant écologiste.
Mise à jour à 16 h 34 avec les déclarations de la femme de Paul Watson.