Une catastrophe environnementale en devenir. Donald Trump a signé jeudi 24 avril un décret destiné à ouvrir l’extraction à grande échelle de minerais dans les grands fonds océaniques, y compris en eaux internationales. Une remise en cause de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), théoriquement compétente en haute mer. Ce passage en force du président américain consterne les associations de protection de l’environnement, qui alertent sur les dégâts qu’aurait une telle exploitation sur les écosystèmes marins.
Le texte demande au secrétaire au Commerce, Howard Lutnick, «d’accélérer l’examen» de candidatures «et la délivrance de permis d’exploration et d’extraction» de minéraux «au-delà des juridictions» américaines. Il saisit également son secrétaire à l’Intérieur, Doug Burgum, pour en faire de même pour les eaux territoriales. Le décret enjoint également au secrétaire au Commerce de préparer un rapport sur «la faisabilité d’un mécanisme de partage» du produit des fonds marins. Selon un haut responsable américain, l’initiative permettrait de collecter un milliard de tonnes de matériaux en dix ans.
Tribune
L’AIFM a pourtant juridiction sur les fonds marins des eaux internationales, en vertu d’accords que les Etats-Unis n’ont cependant jamais ratifiés. «En se lançant dans l’extraction minière en eaux internationales, à contrepied du reste du monde, le gouvernement ouvre la voie à d’autres pays pour en faire de même», a réagi Jeff Watters, vice-président de l’ONG Ocean Conservancy, dans un communiqué. «Et cela aura des conséquences négatives pour nous tous et pour les océans dont nous dépendons», a-t-il prévenu.
Aucune extraction minière commerciale n’a encore eu lieu dans les fonds marins, aux Etats-Unis ou ailleurs. Certains Etats ont, en revanche, déjà octroyé des permis d’exploration dans leurs zones économiques exclusives, notamment le Japon et les îles Cook.
«Un défi économique et de sécurité nationale sans précédent»
L’administration Trump estime que l’extraction minière en eaux profondes pourrait créer 100 000 emplois et augmenter de 300 milliards de dollars le produit intérieur brut (PIB) des Etats-Unis sur dix ans. «Nous voulons que les Etats-Unis devancent la Chine dans ce domaine», a expliqué un responsable de l’administration américaine.
La Chine qui, de son côté, a estimé ce vendredi que le projet américain «enfrei[gnai]t le droit international» et «nui[sai]t aux intérêts de la communauté internationale dans son ensemble». Une position que Pékin avait déjà avancée en mars dernier, son ministère des Affaires étrangères jugeant qu’aucun pays ne devait passer outre l’AIFM et autoriser unilatéralement l’exploitation minière sous-marine.
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L’extraction concerne principalement les nodules polymétalliques, des sortes de galets posés sur les fonds marins, riches en minéraux comme le manganèse, le nickel, le cobalt, le cuivre ou les terres rares. Ces dernières sont des métaux aux propriétés magnétiques très prisées pour les véhicules électriques, panneaux solaires, mais aussi smartphones et ordinateurs portables. «Les Etats-Unis font face à un défi économique et de sécurité nationale sans précédent, à savoir la sécurisation de leurs approvisionnements en minéraux critiques sans en passer par des adversaires étrangers», fait ainsi valoir le décret de Donald Trump.
L’obsession pour le retard vis-à-vis de la concurrence étrangère et notamment chinoise ne date pas d’hier. En 2023, 31 élus au Congrès, tous républicains, avaient adressé une lettre à l’ancien secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, réclamant que le gouvernement Biden permette l’extraction minière sous-marine. «Nous ne pouvons pas laisser la Chine s’arroger et exploiter les ressources des fonds marins», avaient-ils écrit. Une demande restée lettre morte, en tout cas publiquement.
Une compagnie canadienne déjà dans les starting-blocks
L’entreprise canadienne The Metals Company (TMC) avait en tout cas reniflé le bon filon. Plus tôt dans l’année, elle avait fait part de son intention de contourner l’AIFM et de demander le feu vert des Etats-Unis pour commencer à exploiter des minerais en haute mer. Le décret signé, son patron Gerard Barron s’est réjoui, jugeant qu’il marquait «le retour du leadership américain» dans le domaine des minéraux sous-marins. Et d’ajouter : «TMC se tient prêt à mettre en œuvre le premier projet d’extraction commerciale de nodules polymétalliques au monde.» «C’est un exemple clair de la priorisation des compagnies minières au détriment du bon sens», a regretté Katie Matthews, de l’association de protection des océans Oceana.
Les Etats américains se tiennent toutefois prêts à batailler contre ce décret fédéral. A Hawaï, le gouverneur démocrate Josh Green a ratifié en juillet 2024 un texte interdisant l’extraction minière dans les eaux territoriales de cet Etat situé au beau milieu du Pacifique.
De nombreuses organisations de défense de l’environnement s’opposent à la collecte de minéraux, qu’elles accusent de menacer gravement l’écosystème marin. «Trump est en train d’exposer l’un des écosystèmes les plus fragiles et méconnus à l’exploitation industrielle incontrôlée», a commenté Emily Jeffers, avocate du Centre pour la diversité biologique (CBD), rappelant que plus de 30 pays sont favorables à un moratoire. «La haute mer nous appartient à tous, a-t-elle ajouté, et la protéger est un devoir pour l’humanité.»