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Agroécologie

Biodiversité : «L’Etat doit accompagner les paysans dans la transition agricole»

La députée LFI de Haute-Vienne Manon Meunier, corapporteure d’une mission d’information parlementaire sur la dynamique de la biodiversité dans les pratiques agricoles qui achève ses travaux, analyse la crise actuelle et plaide pour une incitation financière à la transition agroécologique.
En Bretagne, les agriculteurs ont bloqué une route près de Tinteniac (Ille-et-Vilaine), le 24 janvier 2024. (Damien Meyer /AFP)
publié le 25 janvier 2024 à 16h07

Et si l’écologie offrait un débouché à la colère des paysans ? Et si les agriculteurs devenaient les meilleurs alliés de la transition écologique, de la biodiversité et du climat ? Un rapport d’information de l’Assemblée nationale, présenté mercredi 24 janvier, questionne notamment les politiques publiques à destination du monde agricole. Selon ses auteurs, le soutien de l’Etat est «discontinu, mal ciblé et très insuffisant», bref inapte à «inciter efficacement les agriculteurs au changement des pratiques agricoles». Mais des solutions existent aux yeux des parlementaires, qui écrivent : la «mission d’information converge vers l’idée que les systèmes de production agroécologiques constituent aujourd’hui la seule et unique réponse soutenable et durable pour enrayer le déclin de la biodiversité dû aux pratiques agricoles intensives et améliorer la résilience de l’agriculture face au changement climatique». Pour la députée La France insoumise de Haute-Vienne Manon Meunier, ingénieure agronome de formation et corapporteure de la mission d’information, «il faut rétablir un cercle vertueux entre l’agriculture et la biodiversité».

Comment analysez-vous l’explosion de colère en cours chez les agriculteurs ?

Cette colère est légitime. Elle fait écho à ce que nous ont dit les agriculteurs et leurs représentants tout au long de cette mission d’information parlementaire. Cela fait des années que plusieurs revendications ne sont pas entendues. Ils réclament un revenu digne, et on peut l’entendre ! Cela passe par des prix planchers assurés aux agriculteurs mais aussi par la fin de la logique de la mondialisation libérale, qui les met en concurrence avec le reste de la planète. Or cette logique est la boussole des politiques publiques actuelles.

Vous vous êtes penchés durant dix mois sur les pratiques agricoles et leurs impacts sur l’effondrement de la biodiversité. Quel bilan en tirez-vous ?

Qu’il y a urgence à accompagner les agriculteurs qui sont laissés seuls face à la transition et aux conséquences de la crise environnementale. D’autant plus qu’il est tout à fait possible d’établir un cercle vertueux entre l’agriculture et la biodiversité, car l’agriculture a besoin de la biodiversité et inversement ! Et qu’on a des exemples d’exploitations aujourd’hui – certaines sont citées dans le rapport – qui fonctionnent très bien dans cette logique. Mais les politiques agricoles engagées depuis la moitié du XXe siècle nous ont détournés du fonctionnement naturel des écosystèmes. La spécialisation des cultures, l’agrandissement des parcelles et l’utilisation de produits phytosanitaire ont conduit à détruire les réservoirs de biodiversité. Les conséquences désastreuses de cette métamorphose sur l’agriculture sont devant nos yeux. Après des années d’augmentation de rendement des cultures céréalières, le rendement diminue, en lien direct avec la crise environnementale.

En quoi ce modèle intensif «conventionnel» altère les écosystèmes ?

Le modèle productiviste est impliqué dans cinq grandes sources d’effondrement de la biodiversité : le changement climatique, la dégradation des habitats naturels, la pollution des eaux, des sols et de l’air par les intrants de synthèse, l’exploitation des animaux et des plantes, et le fléau des espèces exotiques envahissantes. Les scientifiques que nous avons interrogés identifient les produits phytosanitaires comme la cause principale, mais la disparition des haies constitue aussi une cause majeure. L’agriculture est en réalité un levier majeur pour endiguer la chute de biodiversité. Par exemple, les prairies bocagères ou les landes, maintenues grâce à un système d’élevage extensif, sont indispensables pour certaines espèces !

Comment rendre l’agriculture plus résiliente face à la biodiversité et aux défis environnementaux ?

En arrêtant de les opposer. L’agroéconomiste Sophie Devienne, qui a étudié plusieurs exploitations agricoles, explique que celles qui s’en sortent le mieux sont souvent les exploitations à taille humaine qui ont diversifié leurs activités. Certes, les agriculteurs font moins de rendement. Mais ils économisent en contrepartie sur leur matériel et sur les charges en augmentant leur marge finale. L’Etat doit accompagner de telles prises de risque lors des démarches de conversion, via une indemnisation financière en cas de zone de turbulence ou de diminution du rendement.

Vous écrivez que les «freins actuels à la conversion» vers un modèle plus durable relèvent d’un «défaut majeur de l’Etat en matière de formation, d’accompagnement et de soutien financier»…

Oui, nos politiques publiques manquent d’ambition pour accompagner la transition écologique. Les aides à la conversion à l’agriculture biologique et les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) ne représentent que 7 % du budget de Politique agricole commune (PAC) de la France pour 2023-2027. Cela fait 500 millions d’euros par an destinés à soutenir la transition agroécologique sur une enveloppe globale de plus de 9 milliards… Et avec la casse récente des budgets Maec [ndlr : depuis, le ministre a finalement annoncé des financements supplémentaires qui «vont dans le bon sens», selon les syndicats], certains agriculteurs subissent une perte de revenus conséquente ! Un exemple : dans le parc naturel de Millevaches, un agriculteur qui touchait 17 000 euros par an pour maintenir des prairies humides et des landes favorables à la biodiversité se retrouve, avec les nouveaux budgets annoncés par Marc Fesneau, limité par un plafond de 6 000 euros par an !

Les agriculteurs fustigent, ces jours derniers, les «normes» qui leur gâchent la vie. Avez-vous entendu ce malaise s’exprimer lors de vos auditions ?

Ce que j’ai surtout entendu, ce ne sont pas tant des plaintes contre les normes françaises ou européennes, que contre l’inflation des démarches administratives qui y sont associées. Beaucoup nous ont raconté à quel point leurs parcours pour s’installer avaient été pénibles alors même que, d’ici à 2030, 50 % des agriculteurs vont partir à la retraite. Les démarches, interminables et trop nombreuses, freinent les élans de certains ; les difficultés surgissent souvent au moment où quelqu’un cherche à sortir des clous. Et quand le gouvernement embraye à son tour sur les normes, c’est pour essayer de se ménager une porte de sortie politique. Marc Fesneau préfère clamer : «C’est la faute à l’environnement et aux normes» plutôt que d’engager enfin le débat sur la férocité de la concurrence internationale.

Le Premier ministre, Gabriel Attal, doit annoncer des premières mesures en faveur des agriculteurs en cette fin de semaine. Qu’en attendez-vous ?

J’attends, en priorité, que Gabriel Attal s’engage à un retrait de la France des négociations entre l’Union européenne et le Mercosur [le marché commun qui regroupe plusieurs pays d’Amérique du Sud, ndlr]. Nous ne devons pas rejoindre ce traité de libre-échange qui favorise les produits sud-américains : c’est une demande quasi unanime des agriculteurs, toutes orientations syndicales confondues. Le signer, c’est ouvrir une boîte de Pandore, favoriser les importations de viande et de soja à prix cassés. Non seulement, d’après notre mission, ces importations ont un impact non négligeable sur la biodiversité des pays importateurs, dans le cas du Mercosur, cela encouragerait la déforestation de l’Amazonie. Mais ces traités produisent aussi une concurrence déloyale à nos agricultures qui, eux, doivent respecter des normes ambitieuses ! L’exemple du déclin de l’élevage ovin dû aux importations en provenance de Nouvelle-Zélande suffit à démontrer qu’une libéralisation extrême met en péril les exploitations à taille humaine, rémunératrices pour les agriculteurs et respectueuses de la biodiversité et du climat. L’autre urgence, pour Gabriel Attal, devrait être d’imposer par la loi des prix planchers pour les agriculteurs. Certes cela acterait l’échec de la loi Egalim, qui a échoué à contrôler les marges des distributeurs, mais cela répondrait à une des principales attentes du monde agricole.