Le sort de l’A69 est encore loin d’être scellé. Lundi 9 décembre, le tribunal administratif (TA) de Toulouse a indiqué qu’il allait «rouvrir l’instruction» du dossier de l’autoroute A69, alors qu’une décision était attendue en début de semaine sur la poursuite ou la suspension du chantier controversé qui doit relier Toulouse (Haute-Garonne) à Castres (Tarn) d’ici à fin 2025. L’instance précise qu’«une nouvelle audience en vue de se prononcer sur la légalité des autorisations environnementales» se tiendra «dans les prochains mois», ouvrant ainsi la porte à une poursuite des travaux. Les juges se donnent donc plus de temps pour trancher sur le recours au fond déposé par la fédération d’ONG France Nature Environnement (FNE) pour contester l’autorisation environnementale.
«Les associations requérantes sont consternées par la non-décision du TA de Toulouse, fulmine le collectif La voie est libre. Nous utiliserons tous les recours juridiques possibles pour mettre un terme à ce scandale et faire suspendre les travaux.» Le tribunal précise que des «notes en délibéré» ont été versées au dossier par des parties (l’Etat et le concessionnaire privé Atosca) à l’issue de l’audience du 25 novembre. Selon les opposants, le fait «nouveau» mentionné par l’Etat dans sa note de «16 pages» concerne «l’engagement ministériel» portant sur «une diminution des tarifs de péage». Pour la députée écologiste Christine Arrighi, ancienne rapporteure de la commission d’enquête sur l’A69, le versement de notes en délibéré s’apparente à une «manœuvre dilatoire» de la part du concessionnaire et de l’Etat. «Ils ont été assommés par l’analyse de la rapporteure publique et tentent de retarder la décision du tribunal au regard d’éléments “nouveaux”, soutient-elle. Le but est de continuer les travaux afin de pouvoir mettre chacun devant le fait accompli, à savoir un chantier terminé, et ainsi forcer sa régularisation.»
«Dossier sensible»
Lors de l’audience du 25 novembre, dans une salle pleine à craquer, la rapporteuse publique du tribunal administratif, Mona Rousseau, avait remis en cause l’existence pour ce projet d’une «raison impérative d’intérêt public majeur» pouvant motiver la dérogation aux textes du code de l’environnement, notamment ceux concernant la protection des espèces ou habitats protégés sur le tracé de l’autoroute. Désenclavement du territoire non caractérisé, amélioration de la sécurité routière à relativiser, un «gain de confort» plus qu’un impératif pour ceux qui pourront se permettre de payer les 17 euros de péage aller-retour… Dans son analyse, la magistrate avait contesté un à un les arguments de la défense, avant de conclure en demandant l’annulation de l’autorisation de l’A69.
L’avocate des opposants au projet, Alice Terrasse, avait invité le tribunal à «rendre une décision effectivement audacieuse», compte tenu des «intérêts financiers» et des «lobbys qui sont derrière». Le conseil d’Atosca, en charge des travaux de l’A69, Carl Enckell, avait, lui, insisté sur la nécessité de désenclaver le territoire. «On ne se rend pas compte de la dépendance des habitants périurbains à la voiture», avait-il pointé, arguant que le chantier était désormais trop avancé pour reculer. Une position soutenue par de nombreux élus locaux, comme la présidente PS du conseil régional d’Occitanie, Carole Delga, ou le député macroniste de la troisième circonscription du Tarn, Jean Terlier – dont la femme travaille au sein du groupe Fabre –, principal pourvoyeur d’emplois de la région.
«Le dossier est sensible, le tribunal en a conscience, analyse Julien Bétaille, maître de conférences en droit public à l’université Toulouse Capitole. Les juges se donnent donc du temps supplémentaire pour respecter le principe de contradictoire afin que personne ne soit lésé et qu’il y ait un vrai débat judiciaire, ce qui est une démarche saine. Sur le fond, le suspense reste entier ; et en attendant, les travaux se poursuivent». Sollicité, le concessionnaire déclare «prendre acte de la décision» du TA de Toulouse et précise qu’il «produira ses observations dans le délai de quarante-cinq jours imparti», sans plus de commentaire sur la note versée au dossier.
«Un chantage à l’emploi»
La communication du TA, très attendue, intervient plus de deux ans et demi après la signature du contrat de concession en avril 2022, et plus d’un an et demi après la publication par les préfets du Tarn et de Haute-Garonne de l’autorisation environnementale du projet. Ce document daté de mars 2023 a donné le feu vert au concessionnaire Atosca pour construire 53 km d’autoroute, en deux fois deux voies, dont 44 km de voirie neuve au cœur d’un paysage de champs, de fermes, de prairies, de vergers… Au total, près de 370 hectares doivent être artificialisés. En juin 2023, les collectifs et ONG s’opposant à l’autoroute avaient déposé des recours au fond attaquant la phase opérationnelle de l’A69. Le fait que ces recours n’avaient jusque-là pas été examinés par le tribunal administratif était l’un des principaux arguments des écologistes pour s’opposer à la poursuite du chantier.
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Le 29 novembre, alors que la décision était encore en délibéré, Pierre-Yves Revol, président de la Fondation Pierre Fabre, actionnaire majoritaire du groupe pharmaceutique basé à Castres (Tarn) est monté au créneau. Dans une interview au journal la Dépêche, il a déclaré : «Si l’autoroute n’est pas finalisée, le premier employeur du Tarn remettra en cause sa politique d’implantation locale.» «Un chantage à l’emploi inadmissible», selon les opposants et la Ligue des droits de l’homme. «Certes, toute activité industrielle implique des impacts environnementaux. La question est donc de savoir si le jeu en vaut la chandelle», se demandent les membres de l’Atécopol, un collectif de scientifiques de la région comprenant le climatologue Christophe Cassou, auteur principal du 6e rapport du Giec, dans une tribune publiée dans le Nouvel Obs le 4 décembre. Et de continuer : «Ces pollutions nous permettent-elles de bâtir un monde plus sobre ? Plus juste ? Dans le cas de l’A69, ni l’un ni l’autre.» Une chose est sûre, l’avenir de l’A69 restera incertain pendant encore plusieurs mois.