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Libération
Une guerre sans merci

En Afrique du Sud, démarrage de la plus grande opération mondiale d’éradication de souris

La biodiversitédossier
L’association BirdLife Afrique du Sud et le gouvernement sud-africain lanceront en avril la première phase d’un plan pour éliminer les rongeurs qui dévorent les oiseaux marins sur l’île Marion, un territoire austral de l’océan indien.
Des albatros hurleurs adultes ne peuvent rien face aux souris qui dévorent leurs poussins. (Michael Nolan/Robert Harding.AFP)
publié le 1er avril 2025 à 17h45

Une vaste campagne d’éradication de souris est sur le point de démarrer. Sur l’île Marion, un territoire isolé entre l’Afrique du Sud et l’Antarctique, les rongeurs prolifèrent et dévorent les oiseaux marins, notamment des albatros hurleurs et leurs poussins. Cette île de l’océan indien et l’Île-du-Prince-Édouard, sa voisine, abritent 50 % des albatros hurleurs de la planète. Mais 19 des 29 espèces d’oiseaux qui nichent là sont menacées d’extinction à cause des nuisibles. Le «Projet Marion sans souris», conduit par l’association BirdLife Afrique du Sud et le gouvernement sud-africain - doit franchir une étape cruciale en avril afin de les éradiquer : des appâts toxiques seront dispersés, à pied, sur une portion du territoire.

La deuxième étape est prévue en 2026, lorsqu’un hélicoptère larguera des appâts sur une zone beaucoup plus vaste. Si le projet atteint ses objectifs de financement, ces tests culmineront à l’hiver 2028, lorsque cinq ou six hélicoptères (amenés sur l’île par bateau) distribueront des appâts empoisonnés partout sur ce petit territoire. L’objectif est d’éliminer définitivement cette espèce invasive, introduite involontairement par les marins du XIXe siècle. En cas de succès, il s’agira de la plus grande éradication de souris jamais réalisée en une seule opération.

«On voyait leurs dents s’enfoncer dans la chair»

Deux chercheurs sud-africains, Stefan et Janine Schoombie, ont voulu aller observer le phénomène de nuit, relate le Guardian. Après une randonnée de trente minutes dans l’obscurité, Stefan Schoombie a installé discrètement son matériel photo derrière un rocher. «Nous nous attendions à devoir faire de la traque, mais les souris nous ont grimpé dessus», raconte-t-il. Peu de temps après, un poussin d’albatros a été attaqué par des rongeurs. «L’oiseau était une vraie boule de poils», se rappelle Janine Schoombie. Ce qui n’a pas empêché les souris de lui grimper sur le dos pour lui mordiller la tête. «On voyait leurs dents s’enfoncer dans sa chair», rapporte la chercheuse. L’oiseau, trop jeune pour marcher, et encore moins pour voler, n’a pas pu s’échapper.

«En tant que scientifiques, notre rôle est de ne pas intervenir», explique Stefan Schoombie. Le lendemain, le petit avait été rejoint par l’un de ses parents, mais même l’oiseau adulte n’a rien pu faire. Quelques jours plus tard, le poussin a succombé à ses blessures et a été dévoré par des pétrels géants, des grands oiseaux de mer.

Réparer les torts causés par l’homme

L’éradication des souris a été sérieusement envisagée pour la première fois il y a plus de dix ans, une étude de faisabilité réalisée en 2015 ayant conclu qu’il était techniquement possible de s’en débarrasser. Une évaluation éthique menée en 2022 a montré que ne rien faire et laisser les souris détruire l’écosystème de l’île n’était pas une action éthiquement neutre, explique le Guardian. «C’est une étape nécessaire pour réparer les torts causés par l’homme dans le passé», estime Anton Wolfaardt, chef du «Projet Marion sans souris».

En 1949, cinq chats (non castrés) ont été introduits sur l’île pour s’attaquer à la population de rongeurs. Mais les oiseaux marins ont vite constitué pour les félins des cibles bien plus faciles. Au milieu des années 1970, on comptait environ 2 000 chats errants, tuant environ 450 000 oiseaux chaque année. Ils ont finalement été éliminés en 1991. «Retirer les souris est la dernière pièce du puzzle», assure Anton Wolfaardt. Selon lui, le problème s’est aggravé au cours des trente dernières années, car les températures plus élevées et les conditions plus sèches ont entraîné une augmentation des nuisibles sur l’île Marion.

«La pression est énorme», décrit Keith Springer, directeur des opérations d’éradication. «Il suffit d’oublier deux souris sur un million et on revient au point de départ.» Il y a près de 20 ans, alors que la population de souris était considérée comme plus faible sur l’île, on en comptait environ 300 par hectare, au plus fort de la saison de reproduction.

En plus des rongeurs, les populations d’oiseaux marins sont fragilisées par de nombreuses menaces, comme la grippe aviaire. Fin mars, le gouvernement sud-africain a annoncé que la maladie sévissait sur l’île. Elle a été détectée chez six espèces d’oiseaux différentes, les poussins d’albatros hurleurs étant les plus nombreux à mourir (150 sur environ 1 900 poussins) en 2024.