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Interview

Apiculteurs face à la vague de froid : «On est aussi tributaires des conditions météorologiques»

L’épisode exceptionnel de froid et de gel qui a frappé les cultures a également été nocif pour les abeilles, entraînant de maigres récoltes de miel, explique à «Libération» Jean-Marie Barbançon, apiculteur dans la Drôme.
La période de froid prolongée a empêché les abeilles de profiter de la floraison. (Sébastien Bozon/AFP)
publié le 21 avril 2021 à 16h32

La récente vague de froid et de gel qui a traversé la France a frappé de nombreuses exploitations (vignes, arbres fruitiers, céréales…), détruisant des centaines de milliers d’hectares de cultures. Le gouvernement a annoncé la création d’un «fonds de solidarité exceptionnel» d’un milliard d’euros pour soutenir les agriculteurs touchés. Parmi les victimes collatérales oubliées : les apiculteurs et leurs abeilles. Ces dernières n’ayant pas pu sortir se nourrir manquent de ressources pour pouvoir continuer à produire du miel. Les apiculteurs, en plus de craindre pour leurs abeilles, s’inquiètent pour leur récolte. Pour Jean-Marie Barbançon, président de la Fédération nationale des organisations sanitaires apicoles départementales, si la survie des abeilles n’en est pas au point d’être menacée, le métier devient de plus en plus compliqué.

Quelle menace représente le gel pour l’apiculture ?

Le problème c’est que le gel anéantit les capacités de floraison des plantes ou des arbres tel que le Robinia pseudoacacia, et pour les apiculteurs qui ont des emplacements et qui espéraient récolter du miel d’acacia, ça se présente plutôt mal… Et puis il n’y a pas que le gel qui a été nocif pour nos abeilles, il y a aussi eu dans toute la France une période de froid prolongée qui les a empêchées de profiter de la floraison au moment où nos colonies sont habituellement bien développées et où elles ont besoin de ressources. Par exemple dans la Drôme, où j’exerce, avant la vague de froid, certaines ont pu rentrer un petit peu de nectar et de pollen – sachant qu’il leur faut normalement 7 à 9 kilos de miel pour survivre en cette saison dans une ruche – mais pas mal de colonies avaient déjà épuisé leurs réserves hivernales au moment de se lancer dans le développement de leurs colonies, où le nombre d’abeilles passe de 15 000 à 40 000 ou 50 000 par ruche.

Quelles sont les conséquences pour les abeilles ?

Si l’apiculteur n’est pas là pour les surveiller ou les aider, elles périssent. C’est le cas en Rhône-Alpes où des producteurs ont perdu des ruches de famine. Cela va néanmoins davantage se concrétiser par des non-productions de miel de cru, tel que l’acacia, parce que si l’apiculteur a veillé au grain, normalement, il n’a pas perdu trop de colonies, même si dans les apicultures professionnelles, où il y a beaucoup de ruches, on peut arriver trop tard. Les abeilles pourront tout de fois se rabattre sur d’autres plantes qu’elles auraient peut-être négligées si l’acacia avait fleuri, comme l’aubépine qui apparemment n’a pas trop souffert du gel.

Tout repose sur la météo ?

Quand on choisit de faire de l’apiculture, on sait très bien que c’est un métier très proche de l’agriculture et qu’on est tributaire des conditions météorologiques… Au-delà du problème du gel, on peut aussi souffrir de la sécheresse par exemple, qui, même sans qu’elle soit excessive, peut impacter la qualité ou la quantité des nectars et des pollens utiles à la nutrition de la colonie et à l’accumulation des réserves. Le réchauffement climatique est donc inquiétant. On entend parler d’aides pour les viticulteurs et les arboriculteurs, mais pour nous c’est plus compliqué. Certes, on a pu récupérer des aides par le passé, mais celles-ci ne sont destinées qu’aux apiculteurs professionnels – qui représentent plus de la moitié du miel qui est consommé. Et puis, ce n’est pas évident de chiffrer les pertes pour un apiculteur, on peut lui rétorquer qu’il fallait déplacer ses ruches dans une zone où ça n’allait pas geler.

C’est un métier qui devient compliqué. Il ne faut pas occulter non plus le problème des pesticides, ou des agents pathogènes contre lesquels les apiculteurs n’ont aucun levier pour agir. Quand j’ai commencé en apiculture dans les années 80, le taux de perte admis pour un apiculteur était de l’ordre de 5%. Maintenant la norme, c’est 10% de perte… C’est un tout qui vous mine le moral.