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Libération
Victoire

Au Brésil, les indigènes remportent le «procès du siècle» pour préserver leurs terres de l’agrobusiness

Lors d’une décision historique ce jeudi 21 septembre, la Cour suprême du Brésil a conforté le droit inaliénable des indigènes d’occuper leurs terres ancestrales. Une victoire contre les lobbys de l’agroalimentaire et un pas important pour la préservation de l’environnement.
La députée indigène Celia Xakriaba à Brasilia (Brésil), jeudi 21 septembre 2023. (Ueslei Marcelino/REUTERS)
publié le 22 septembre 2023 à 13h44

Dans ce «procès du siècle» brésilien, deux mondes se sont affrontés. D’un côté, les peuples autochtones d’Amazonie ; de l’autre, le puissant secteur de l’agroalimentaire. Ce sont les premiers qui ont bénéficié de la décision de la Cour suprême du Brésil rendue jeudi 21 septembre. A l’issue d’un procès-fleuve, ouvert en 2021 et suspendu à plusieurs reprises, la plus haute instance judiciaire du pays a conforté le droit inaliénable des indigènes à occuper leurs terres ancestrales. L’enjeu était d’autant plus crucial que les réserves attribuées aux autochtones sont considérées par les scientifiques comme des remparts à la déforestation et jouent un rôle clé dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Ce procès portait sur le cas du territoire Ibirama-Laklano, situé dans l’Etat de Santa Catarina, au sud du pays, mais fera jurisprudence et s’appliquera à d’autres réserves objets de litiges. La Cour suprême a en effet déclaré inconstitutionnel l’argument principal du secteur de l’agroalimentaire : le «cadre temporel». Si cette thèse avait été jugée valide, les peuples autochtones auraient pu être expulsés de leurs terres s’ils ne parvenaient pas à prouver qu’ils les occupaient officiellement au moment de la promulgation de la Constitution brésilienne, en 1988. Toutefois, les autochtones expliquent que certains territoires n’étaient pas occupés par eux à cette date, en raison d’un processus d’expulsion manu militari mené pendant des siècles.

Selon l’ONG Institut socio-environnemental, près d’un tiers des plus de 700 réserves indigènes auraient pu être affectées par cette décision. Ce jugement est une «réponse très importante aux menaces et à la criminalisation que nous avons vécues ces quatre dernières années», s’est réjoui Kleber Karipuna, directeur exécutif de l’Association des peuples indigènes du Brésil (Apib), en référence au mandat de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro de 2019 à 2022. Mais c’est aussi un appel au gouvernement actuel du président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva pour qu’il «avance sur la démarcation de terres indigènes», a-t-il ajouté.

La démarcation des réserves garantit aux autochtones le droit inaliénable d’occuper leurs terres ancestrales, ainsi que l’usage exclusif des ressources naturelles, en préservant leur mode de vie traditionnel. Au point mort sous le mandat de Bolsonaro, le processus d’homologation de territoires réservés aux indigènes a été repris par le président Lula. Six nouvelles réserves ont été homologuées en avril, et deux autres début septembre.

Les deux seuls magistrats favorables à la proposition défendue par «l’agronégoce» ont d’ailleurs été nommés par Jair Bolsonaro, qui avait promis de ne «pas céder un centimètre de plus» aux peuples autochtones.

La question des indemnisations

Les magistrats de la Cour suprême doivent encore trouver un consensus sur d’autres questions, notamment sur de possibles indemnisations par l’Etat de propriétaires de terres qui seraient transformées en réserves à l’avenir. Cette solution alternative au «cadre temporel» se trouve au contraire rejetée par le peuple autochtone d’Amazonie. Les 1,7 million d’indigènes du pays, soit 0,83 % de la population, craignent que cela freine l’homologation de nouvelles réserves au nom d’un coût élevé pour le gouvernement. Une victoire cruciale pour un combat qui semble sans fin.